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Disputatio : THÈSE DITE DE CASSICIACUM (II)

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Cahier.de.Cassiciacum

La première partie de l’étude de Myra Davidoglou n’ayant pas encore reçu de réponses vraiment déterminantes aux premières objections de Myra Davidoglou, nous continuons donc la publication de celle-ci.

 

MYRA DAVIDOGLOU

G2-84519-192-8

ANALYSE LOGIQUE DE LA THÈSE DITE DE CASSICIACUM

 

Ière Partie : La Voie, n° 21 (printemps 1991)

 

Suite…

 

L’OCCUPANT EST CAPABLE DE LA FORME, SI

On a vu que pour l’auteur cela ne fait pas l’ombre d’un doute, en dépit de l’élection reconnue par lui comme possiblement invalide du cardinal Montini (11), (25), donnée dont il ne tient aucun compte dans ses raisonnements qui de ce fait sont radicalement faussés. Un pape, se borne-t-il à rappeler, qui par son comportement habituel et notoire fait obstacle à la communication des pouvoirs de Jésus-Christ, qui le constitueraient pape « formaliter » (formellement), un tel pape demeure pape « materialiter » (matériellement) (32). « Il est un  sujet  immédiatement  capable  de  devenir  ou  de  redevenir pape formaliter, s’il renonce à ses errements » (32).

Ce texte présente deux difficultés dont nous avons résolu la première : l’occupant ne peut pas « redevenir » ce qu’il n’a jamais été, la supposition d’une défaillance du magistère infaillible étant contradictoire (supra § 14).

La seconde difficulté vient de ce que l’auteur considère l’occupant comme « un sujet immédiatement capable de devenir formellement pape, s’il renonce à ses errements » (32). Comment : « il est capable, si … ? » Dans la situation actuelle, cet occupant du Siège est-il ou n’est-il pas capable de la forme du pontificat ? Peut-il ou ne peut-il pas la recevoir ? Que s’il ne le peut pas, s’il n’en est pas capable « hic et nunc », il n’est pas la matière appropriée, au sens philosophique de cette expression ; il n’est donc pas matériellement pape. Encore une fois, la matière, en tant que telle, a la capacité des formes, et si un sujet ne peut pas recevoir telle perfection, telle forme surajoutée (puisque c’est d’une forme accidentelle, bien évidemment, qu’il s’agit ici), on ne saurait lui donner par analogie le nom de matière (supra § 11).

 

UNE TENTATIVE D’EXPLICATION : LA DISPOSITION MANQUANTE

Dira-t-on que l’aptitude d’une matière à recevoir la forme se développe par les dispositions qui préparent la matière à l’acte, c’est-à-dire à cette réception (33) ? et que, dans le cas présent, l’occupant du Siège n’a pas encore toutes les dispositions requises pour cette actuation ? C’est ce que soutiennent les tenants de la thèse (34). De ce que l’élu du conclave enseigne habituellement l’hérésie, disent-ils, on infère qu’il n’a pas l’intention de réaliser le bien de l’Église ; or cette intention est la condition pour recevoir du Christ la forme du pontificat (35) qui suppose le charisme de l’indéfectibilité ; donc en attendant que l’occupant du Siège change de dispositions intimes et déclare hérétique le concile Vatican Il, on doit tenir qu’il demeure matériellement pape (34), l’absence de bonnes intentions à l’égard de l’Église ne faisant pas obstacle à la validité d’une élection pontificale (35).

Pour l’auteur il y a d’ailleurs une analogie entre le défaut d’intention de l’occupant de réaliser le bien de l’Église, et le refus du pécheur de recevoir la grâce de la justification (36) ; dans un cas comme dans l’autre, la coopération du sujet, par un mouvement de sa volonté, serait requise pour l’obtention des grâces de Dieu.

 

RÉFUTATION

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1. L’hétérodoxie du sujet

Cette opinion ne peut se défendre pour deux raisons dont voici la première. De ce que l’occupant enseigne l’hérésie on ne déduit pas immédiatement son défaut d’intention de réaliser le bien de l’Église, puisqu’entre ces deux propositions se trouvent des jugements intermédiaires que l’auteur a omis et qu’il importe de rétablir, si l’on ne veut pas laisser dans l’obscurité le point en discussion. Nous reconstituons ici le raisonnement de l’auteur.

L’occupant enseigne l’hérésie. Or l’hérésie est un acte humain, c’est-à-dire volontaire (37). Donc l’occupant veut enseigner l’hérésie ; il en a l’intention. Or l’hérésie nuit à l’Église Donc l’occupant a l’intention de nuire à l’Église. D’où il suit, bien évidemment, qu’il n’a pas l’intention de ne pas lui nuire, ni, par conséquent, de réaliser le bien de l’Église.

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En effet, de ce qu’un homme accomplit un acte on infère directement qu’il veut accomplir cet acte, et cet acte-là, et non qu’il ne veut pas accomplir l’acte contraire. Le défaut de volonté (ou d’intention) d’exécuter un acte ne pourrait s’inférer directement que de la non exécution de cet acte. Ainsi une mère qui ne s’occupe pas de ses enfants permet de conclure immédiatement qu’elle n’a pas l’intention de réaliser leur bien. Il en serait autrement si elle les torturait ; on en déduirait alors directement son intention de leur nuire.

Le même raisonnement s’applique au cas des pontifes conciliaires. Un Jean-Paul II n’omet pas seulement, comme autrefois le pape Honorius, de défendre la foi orthodoxe contre les hérétiques ; Jean-Paul II la ruine lui-même en enseignant systématiquement, publiquement, opiniâtrement l’hérésie et en obligeant les catholiques à l’enseigner. Ce sont là des faits notoires dont on déduit immédiatement sa volonté délibérée de faire disparaître complètement la foi chrétienne, si cela était possible.

La proposition elliptique de l’auteur, qui occulte la complication inutile qu’il introduit dans son raisonnement, semble lui avoir été dictée par le souci de voiler, autant que faire se peut, l’hérésie de l’occupant pour mieux défendre son prétendu droit au Siège apostolique. Quoiqu’il en soit, la conclusion « l’occupant n’a pas l’intention de réaliser le bien de l’Église » suppose vraie la proposition antécédente sur laquelle elle se fonde, à savoir : « l’occupant a l’intention d’enseigner l’hérésie, » donc de mal agir, puisque c’est cette proposition, et elle seule, qui permet à l’auteur de se prononcer sur l’intention de cet occupant à l’égard du bien de l’Église.

Il suit de là que la fameuse disposition qui manquerait encore à l’élu du conclave pour pouvoir recevoir de Jésus-Christ la forme de la papauté n’est rien d’autre que l’orthodoxie. Or l’abdication de la foi divine par un sujet, ne témoigne pas d’une incapacité accidentelle et, partant, remédiable d’occuper la Chaire de Pierre ; il ne s’agit nullement, comme on essaie de nous le faire croire, d’un détail comparable à un défaut de disposition, de préparation de la matière à la réception de la forme ; il s’agit d’une incapacité radicale du sujet qui dès lors répugne au nom de matière. Un hérétique ne peut en aucune façon accéder au souverain pontificat, nous l’avons dit plus haut (supra § 12) (23), et il n’appartient ni à Mgr Guérard des Lauriers ni à ses disciples de modifier les conditions d’éligibilité du successeur de Pierre, qui sont de droit divin. D’ailleurs si l’on veut considérer l’orthodoxie comme une simple disposition à acquérir par le sujet après son élection, on devra par souci de cohérence tenir pour éligibles et les enfants qui, dans cette optique, pourront toujours grandir et recevoir ultérieurement la forme du pontificat, et les non baptisés, sous prétexte qu’il n’est pas impossible qu’un jour l’autorité pontificale venue d’en Haut fasse d’eux des papes formels, si d’aventure ils se convertissent.

 

 

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2. Les lois de l’Église. La Constitution « Vacantis apostolicæ Sedis »

La seconde raison qui oblige à rejeter ladite opinion est qu’elle contredit les lois de l’Église, notamment la Constitution de Pie XII sur la vacance du Siège apostolique et l’élection du Pontife romain, « Vacantis apostolicæ Sedis » (38), aux termes de laquelle il ne reste à l’élu d’un conclave aucune disposition supplémentaire à acquérir pour jouir de la plénitude de la juridiction universelle. Le « consentement (de l’élu à l’élection) ayant été donné (…), l’élu est immédiatement (illico) vrai pape, et il acquiert par le fait même et peut exercer une pleine et absolue juridiction sur l’univers entier » (Cap. VII, 101).


Ndlr du CatholicaPedia : Vous pouvez télécharger la Constitution de Pie XII sur la vacance du Siège apostolique et l’élection du Pontife romain, « Vacantis apostolicæ Sedis » ici en Latin ou en Français.

 

 

L’ENSEIGNEMENT DE SAINT ROBERT BELLARMIN

C’est d’ailleurs ce qui ressortait déjà très clairement du texte, que nous avons cité de saint Bellarmin (supra § 11) qui explique que « les cardinaux, lorsqu’ils créent un pontife, exercent leur autorité non sur le pontife, puisqu’il n’est pas encore, mais sur la matière, c’est-à-dire sur la personne qu’ils disposent en quelque manière par l’élection, pour qu’il reçoive de Dieu la forme du pontificat » (19). Cette personne est donc considérée comme étant la matière appropriée dès avant l’élection, lorsqu’on la qualifie encore familièrement de « papable », c’est-à-dire de capable de la forme de la papauté. Nous disons bien avant l’élection et non après, parce que c’est précisément par l’élection, selon saint Robert Bellarmin, que les cardinaux confèrent à celui qui est déjà matériellement pape (mais oui, sinon cette expression n’aurait aucun sens), la disposition qui le prépare à la réception de la forme de la papauté, une fois son consentement donné à cette élection.

 

LE CANON 219

La prescription ci-dessus citée de Pie XII (supra § 20) (38) se trouve en ces termes dans le Code de Droit Canonique de Saint Pie X : « Romanus Pontifex, legitime electus, statim ab acceptata electione, obtinet, iure divino, plenam supremæ iurisdictionis potestatem ». Le Pontife romain, légitimement élu, obtient de droit divin, aussitôt après l’acceptation de l’élection, le plein pouvoir de la juridiction suprême (Can. 219). Il l’obtient aussitôt, en latin « statim » ; Pie XII dit « illico ». Entre l’acceptation de l’élu et le plein pouvoir donné par Dieu, il n’y a donc pas la moindre place pour un pontificat matériel que « d’éventuelles déterminations ultérieures » (34), selon le rêve des tenants de l’hypothèse, prépareraient à l’acte. Montini, comme plus tard Wojtyla, a accepté l’élection qui, pour reprendre la comparaison de saint Bellarmin, l’avait disposé, tel une matière, à recevoir sur-le-champ (statim) la forme de la papauté. Pourtant, et c’est là une évidence, il n’a pas été pourvu de l’infaillibilité promise par le Sauveur à Pierre (Luc XXII, 32), ni, par conséquent, du pouvoir de gouverner l’Église.

Il ne reste donc qu’une seule explication possible, selon le Canon 219 ci-dessus, et c’est que Montini n’a pas été « légitimement élu, » pour cette raison au moins que, dès avant son entrée au conclave, il n’était pas papable, au sens propre de ce terme ; il n’était pas, il n’a jamais été un pape en puissance, un pape matériel ; son élection est invalide. D’ailleurs les faits viennent corroborer ce raisonnement, puisqu’il est de notoriété publique que Montini, comme son successeur Wojtyla, était tombé dans l’hérésie bien avant son élection (39).

Pour tourner les prescriptions du Canon 219 et de la Constitution « Vacantis apostolicæ Sedis » (38), les partisans du système disent que Montini n’avait pas sincèrement accepté l’élection ; qu’il ne nourrissait pas de bonnes intentions à l’égard de l’Église (35), (36) ; qu’in petto il avait refusé les pouvoirs de Jésus-Christ (30) ; bref, ils disent n’importe quoi. À ce genre d’arguties il serait évidemment facile de répliquer que si Montini était contre le Christ, cela signifie qu’il ne Lui appartenait pas ; qu’il était donc hors de l’Église ; qu’ainsi il n’était pas éligible et que son élection est nulle. Mais nous en avons assez dit sur le sujet. Les lois de l’Église sont ce qu’elles sont ; le reste est littérature.

 

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3. L’analogie entre l’acte de la justification et la réception du charisme de l’infaillibilité

Enfin, il faut dire un mot de l’analogie que l’auteur dit voir entre la collation de l’infaillibilité à l’élu d’un conclave et le don de la grâce justifiante au justifié, parce que l’un et l’autre doivent être préparés et disposés à ces grâces par un acte de la volonté (supra § 17, p. 11).

Il n’y a pas d’analogie sous le rapport envisagé, mais pour le comprendre il faut d’abord savoir ce qui suit. La grâce justifiante ou sanctifiante, qui « nous rend agréables aux yeux de Dieu » (Ephes. I, 6), est donnée à l’homme pour sa propre justification ; les théologiens l’appellent la « gratia gratum faciens ». Le charisme est une grâce gratuitement donnée (« gratis gratis data ») à un homme pour sa coopération à la justification des autres, selon ce mot de l’Apôtre : « À chacun est donnée une manifestation de l’Esprit pour l’utilité » de ses frères (I Cor XII, 7)40. Cette grâce dépassant les possibilités de la nature n’est due à l’homme à aucun titre (40). Les dons de prophétie, de sagesse, de science, des langues, d’interprétation des discours, qui servent à instruire les autres des vérités de la foi, sont autant d’exemples de la manifestation de l’Esprit dans l’Église (cf. I Cor XII, 8-9). De tels dons ne supposent pas nécessairement la grâce sanctifiante (41), encore que Dieu les accorde le plus souvent à ceux qui sont en état de grâce, particulièrement à ses saints.

En outre, il y a entre la grâce justifiante et le charisme cette différence que l’une est une grâce coopérante, l’autre une grâce opérante. La première est coopérante parce que Dieu, qui a commencé à tourner vers lui la volonté de l’homme, coopère avec cette volonté dont le libre acquiescement à l’action divine est dès lors requis pour sa justification (42). « Celui qui t’a créé sans toi, dit saint Augustin, ne te justifiera pas sans toi » (43). Le second, le charisme, est une grâce opérante, parce que Dieu, en favorisant quelqu’un de ses dons surnaturels, opère sans son concours, et cela est compréhensible. Le don de sagesse, qui est la connaissance des choses divines, telles que les mystères, ou celui de science, qui est la connaissance des choses humaines, comme les réalités créées servant à la démonstration de l’existence et des perfections de Dieu, ces deux dons, par exemple, s’adressent d’abord à l’intelligence, non à la volonté, et pour autant ne requièrent pas son acquiescement. La meilleure preuve en est que des vérités auparavant ignorées de nous s’imposent souvent à notre connaissance sans que notre volonté y ait aucune part (44). Aussi le charisme est-il, à la différence de la grâce sanctifiante qui est une qualité divine inhérente à l’âme, et contrairement à ce qu’affirme l’auteur de la thèse (45), une grâce actuelle, non habituelle, non transformante, bref, prévenante au plein sens de ce mot ; il ne suppose en la personne qui en est favorisée ni délibération antécédente, ni intention particulière, ni disposition habituelle de l’âme, étant accordé en dehors de tout mérite personnel (41).

Voilà ce que l’auteur de l’hypothèse semble avoir ignoré en inventant une analogie qui ne repose sur rien. Encore une fois, s’il faut une disposition du sujet à la grâce sanctifiante ou habituelle qui unit l’âme à Dieu en la faisant participer à sa nature (II Pe I, 4; I Jn III, 1-2)46, en revanche, il n’en est pas besoin pour recevoir de Dieu le charisme de l’indéfectibilité ou quelque charisme que ce soit, qui ne produisent pas cette union (47).

À ce propos il n’est pas sans intérêt de citer un texte du R. P Héris O. P. , dans son commentaire de l’enseignement de saint Thomas d’Aquin sur la grâce : « Certains états ou fonctions dans l’Église, écrit-il, pourront postuler l’intervention charismatique du Saint-Esprit, au moins à certaines occasions ; ainsi en est-il, par exemple, du charisme de l’infaillibilité pontificale. Mais cette intervention ne se produira pas en raison des dispositions intimes du sujet qui est favorisé de tel ou tel charisme, mais pour satisfaire aux nécessités de l’Église, et à la promesse d’assistance qui lui a été faite par le Christ (…). Les charismes (ne sont pas au service des âmes qui les possèdent) mais au service du Corps mystique de l’Église, et ce sont les nécessités ou l’utilité de l’Église qui expliquent le don fait de ces grâces actuelles gratuites à un individu, non l’état d’âme de celui qui en est gratifié » (47).

Conclusion : la fameuse disposition d’âme requise pour l’obtention de la forme du pontificat par l’occupant du premier Siège est une fiction théologique destinée à donner à son occupation de fait un semblant de droit sans lequel l’absurdité de l’hypothèse de Cassiciacum serait trop évidente.

 

LA VALIDITÉ DES CONCLAVES DE 1963 ET 1978

Dans ces conditions, rien ne sert de se retrancher derrière la prétendue validité des conclaves de 1963 et 1978. Pour l’auteur « il n’est pas impossible qu’ils aient été valides » (48). D’où il suit qu’il n’est pas impossible qu’ils aient été invalides. Nous avons déjà relevé l’inanité du « principe » sur lequel se fonde tout le système de Cassiciacum. (supra § 6, § 7). Pour les disciples, en revanche, aucun doute ne semble permis sur la validité de conclaves qui, disent-ils, ont conféré à leurs élus une « détermination » relevant de « l’ordre juridique de l’Église » (49), détermination que ne pourrait « annihiler (qu’une) autre détermination du même ordre juridique, opposée à la première » et procédant de la même autorité (49). D’ici là la théorie de la permanence du pape matériel (50), élu par un conclave valide (35), « s’impose, non seulement en fait (…) mais en droit et absolument » (50). « Sic volo, sic iubeo, pro ratione voluntas mea. » Les suppositions gratuites, faites sur un ton comminatoire, sont le propre des doctrines volontaristes dont celle de Cassiciacum est un parfait exemple.

Une détermination de l’ordre juridique de l’Église « doit être annihilée, » nous dit-on (49). Fort bien, mais on ne peut annihiler que ce qui est ou existe, du moins sous un certain rapport ou d’une certaine manière. On ne saurait annihiler ce qui n’est pas. Or en l’occurrence la question est précisément de savoir si le conclave d’où l’occupant hérétique est sorti pape lui a réellement conféré une telle détermination d’ordre juridique, en d’autres termes, si l’élection dudit conclave est valide. On répond en substance qu’elle l’est en raison de « la détermination d’ordre juridique inaugurée dans le sujet par le fait d’avoir été élu et d’avoir accepté son élection » (51). Mais c’est là une pétition de principe, un raisonnement vicieux qui suppose pour vrai ce qui est en question. Cela seul oblige à rejeter comme irrationnelle toute la thèse de Cassiciacum. Nous reviendrons sur ce sujet (infra § 40).

Nous examinerons aussi ladite thèse, mais plus tard, sous son aspect canonique, afin de ne laisser planer aucun doute sur le parfait accord entre les lois de l’Église (48) et la droite raison. Pour le moment, comme nous l’avons dit, c’est sous ce dernier rapport que nous la considérons, sans oublier toutefois que  ce qui répugne à la raison ne peut s’accorder avec la Foi car l’une et l’autre viennent de Dieu qui ne peut ni se contredire ni nous tromper.

 

LES ÉLUS DES DERNIERS CONCLAVES N’ONT PAS ÉTÉ DÉSIGNES PAR DIEU, COMME ILS AURAIENT DÛ L’ÊTRE

Les partisans de l’hypothèse attribuent l’élection du Pontife romain à l’Église (48), ce qui est vrai en ce sens que l’Église de Rome et par voie de conséquence les cardinaux réunis en conclave peuvent être considérés comme récapitulant l’Église universelle. Seulement, qui dit l’Église dit le Christ dont elle est Le Corps (Ephes I, 23 ; Col I, 24). Or Jésus-Christ a bel et bien rejeté les élus des conclaves de 1963 et 1978 (2), (29) ; Il leur a refusé les pouvoirs d’enseigner et de gouverner Son Église, ce dont les tenants de la thèse conviennent d’ailleurs sans difficulté (29). Jésus n’a donc pas prié Son Père que la foi de Montini ou de Wojtyla ne défaille pas (cf. Lc XXII, 32) ; Il ne les a pas institués pasteurs de Son troupeau (cf. Jn XXI, 15-17) ; en bref, Il a refusé et refuse de reconnaître en eux les successeurs de celui à qui Il a dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre Je bâtirai Mon Église » (Mt XVI, 18).

Pourquoi ? Le Seigneur se serait-Il brusquement détourné de Son Église qu’Il S’est acquise au prix de Son sang ? C’est absolument impossible. Ou bien aurait-Il omis de l’assister pendant ces conclaves ? C’est non moins absurde ni moins injurieux pour Dieu car si les hommes peuvent être infidèles, le Christ, Lui, est fidèle ; Il ne peut se renier Lui-même. Or Il a promis aux Apôtres et à leurs successeurs d’être avec eux tous les jours jusqu’à la consommation du siècle » (Mt XXVIII, 20), c’est-à-dire jusqu’à la fin du monde. Et ailleurs : « Là où deux ou trois sont réunis en Mon Nom, Je suis au milieu d’eux » (Mt XVIII, 20). Le Christ n’a donc pas pu abandonner des cardinaux réunis pour l’élection de Son représentant sur terre. Ce sont ces cardinaux qui ont abandonné le Christ en élisant des hommes qui le haïssaient, comme l’auteur lui-même le reconnaît quand il les déclare privés, par la volonté de Dieu, du droit de gouverner l’Église parce qu’ils sont contre le Christ (29).

Dans ces conditions, comment le même auteur peut-il soutenir que ces hommes ont occupé le Siège apostolique non seulement de fait, mais de droit (28) ? Quel homme pourrait avoir le droit d’occuper la chaire et le trône de Pierre, alors que Dieu lui a refusé le droit d’enseigner et de régir son Église (29) ? Car la chaire suppose le droit d’enseigner, et le trône, celui de régner. D’ailleurs qui, oui, qui a le droit de s’opposer à la volonté de Dieu ? Autre question : qui, à moins d’être ennemi de Dieu, osera prétendre conférer un tel droit ? Au reste, un tel droit relève de l’irréel ; c’est une chimère, comme le pseudo droit à la liberté de conscience et des religions ; et il est vain d’essayer de faire endosser à l’Église la responsabilité de la collation de ce pouvoir mensonger aux pires ennemis de son Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. L’Église n’est pas en rébellion contre son Chef, elle n’a pas fait sa Révolution d’Octobre, contrairement à ce qu’imagine, dans son aveuglement, le Père Congar. L’Église et le Christ sont un ; c’est là un grand mystère (Eph V, 31-32 ; I, 23 ; Col I, 24).

 

À suivre…

Abréviations utilisées dans les références :
G : Mgr M.L. Guérard des Lauriers, o.p.
L : Abbé Bernard Lucien
B : Abbé Hervé Belmont
CASS : « Cahiers de Cassiciacum », Études de sciences religieuses, Assoc. Saint-Herménégilde, Nice 1979-1981
AUT : « La situation actuelle de l’autorité dans l’Église », Documents de catholicité, As. Saint-Herménégilde, Nice, 1985
SLB : « Sous la Bannière », A.M. Bonnet de Viller, 18260 Villegenon
BOC : « Bulletin de l’Occident Chrétien », 92310 Sèvres
CRI : « L’exercice quotidien de la Foi dans la crise de l’Église », Oratoire N-D de la Sainte Espérance, Bordeaux 1984

1. G CASS 1, p. 12 et 16.
2. L AUT p. 9
3. G Cass 1, p. 37.
4. Ibid. p. 36, n° 3.
5. G CASS 1, p. 36, n° 21 – B CRI, p. 22 – L AUT, p. 27.
6. G CASS 1, p. 21.
7. L AUT p. 9 et 11.
8. G SLB, Suppl. au N° 8, Nov/Déc. 1986, p. 10.
9. G CASS 1, p. 36, n° 2.
10. Cardinal Montini, « Religion et travail, » 27 mars 1960, Turin, Doc. Cath. 19/06/1960, n° 1330 – Voir l’étude de ce texte dans la Voie n° 9, p. 13 sq.
11. G CASS 1, p. 107 et 108.
12. L CASS 2, p. 85.
13. Ibid. p. 86.
14. S. Robert Bellarmin, « De Romano Pontifice » Lib. II, cap. XXX.
15. « Déclaration de Mgr Guérard des Lauriers, » BOC n° 84, Octobre 1983.
16. G CASS 1 p. 79 et 82.
17. S.Th. Ia, 12, 8.
18. « De mente vel intentione, utpote per se quiddam est interius, Ecclesia non iudicat ; at quatenus extra proditur iudicare ea debet » Léon XIII, Encycl. « Apostolicæ curæ », 13 septembre 1896, Denz. 3318.
19. « De Romano Pontifice, » op. cit. Lib. II, cap. XXX.
20. Cf. Aristote, « Physique, » II, 2, 194 b 9 et passim.
21. Aristote, « De anima, » II, 2, 414 a 25.
22. S. Augustin, « De natura boni, » XVIII, 18.
23. Xavier Da Silveira, « La Messe de Paul VI : qu’en penser ? » : « C’est une opinion commune que l’élection d’une femme, d’un enfant, d’un dément ou de ceux qui ne sont pas membres de l’Église, c’est-à-dire les non baptisés, les apostats, les hérétiques et les schismatiques, est nulle par la loi divine. »
Sipos-Galos, « Enchiridion luris Canonici » : « Eligi potest (sc P.R.) quodlibet masculum, usu rationis pollens, membrum Ecclesiae. Invalide ergo eligerentur feminæ, infantes, habituali amentia laborantes, non baptizati, hæretici, schismatici. Pour être élevé au Souverain Pontificat il faut donc être « de sexe masculin, avoir l’usage de sa raison et être membre de l’Église. Sont donc invalides les élections de femmes, d’enfants, de déments, de non baptisés, d’hérétiques et de schismatiques ».
Plöchl, « Lexikon für Theologie und Kirche », 1963, T. VIII, col. 60/63 : « Wählbar ist ein getaufter, männlicher, rechtgläubiger Katholik, ausgenomen Unnmündige u. Geisteskranke » Est donc éligible « un catholique baptisé, de sexe masculin, orthodoxe, à l’exception des mineurs et des aliénés ».
Après la doctrine commune des théologiens et canonistes, il convient de rappeler l’enseignement du Magistère. Le pape Paul IV, dans sa Constitution apostolique « Cum ex Apostolatus Officio », du 15 février 1559, définit comme nulle, non valide et de nul effet l’élection d’un homme qui a dévié de la foi catholique. Voir notre étude dans La Voie, N° 6, 7, 9, 10, 11, 12, « Portrait d’un papabile : J.B. Montini ».
24. G CASS 1, p. 88, 107, 108.
25. Ibid. p. 88.
26. L AUT, p. 31.
27. Karol Wojtyla, « Aux sources du renouveau », Étude sur la mise en œuvre du Concile Vatican II, Le Centurion, Paris 1981 – Édition originale parue en langue polonaise sous le titre « U podstaw odnowy, Studium o realizacji Vaticanum II », Krakow 1972.
28. G CASS 1, p. 36, n° 3 et note 21 – L AUT p. 53.
29. G CASS 1, p. 37 et note 22.
30. L CASS 2, p. 86 et passim.
31. G CASS 1, p. 9, 12, 16 et 68 à 71.
32. Ibid. p. 90.
33. Cf. S. Th. 1, 48, 4.
34. L CASS 2, p. 84.
35. L CASS 2, p. 86 – G CASS 1, p. 76 et 78 b) 1.
36. G CASS 1, p. 50.
37. S.Th. I – II, 6, 1.
38. Constitution « Vacantis apostolicæ Sedis », 8 décembre 1945, AAS Pie XII, T. VII, p. 276.
Cap. VII, 101 : « Hoc consensu prestito intra terminum, quatenus opus sit, pendenti arbitrio Cardinalium per maiorem voto- rum numerum determinandun, illico electus est verus Papa, atclue actu plenam absolutamque iurisdictionem supra totum orbem acquirit et exercere potest ».
Cap. VI, 99 : « Electum vero haeredem et Successorem Nostrum rogamus, ne numeris arduitate deterritus ab eodem su- beundo se retrahat, at potius divinae voluntatis consilio humiliter se subiiciat : nam Deus qui imponit onus, manun etiam Ipse supponet, ne ei ferendo sit impar ; is enim qui oneris est auctor, Ipse est administrationis adiutor ; et ne sub magni- tudine gratiae succumbat infirmus, dabit virtutem qui contulit dignitatem. »
39. Voir notre série d’articles « Portrait d’un papabile » dans La Voie, N° 5, 6, 7, 9, 10, 11, 12.
40. S.Th. I-II, 111, 1.
41. Ainsi saint Jean nous dit-il que Caïphe « en qualité de grand Prêtre prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation, et non seulement pour la nation, mais encore afin de ramener à l’unité les enfants de Dieu dispersés  » (XI, 51, 52), mais, précise l’Évangéliste, Caïphe « ne dit pas cela de lui-même, mais parce qu’il était grand prêtre cette année là » (Ibid.).   Nous lisons aussi dans le Catéchisme du Concile de Trente : « Les biens qui sont communs à tous (dans l’Eglise) ne sont pas seulement les dons qui nous rendent justes et agréables à Dieu. Ce sont encore les grâces gratuites, comme la science, le don de prophétie, le don des langues et des miracles et les autres dons de même nature. Ces privilèges, qui sont accordés quelquefois même aux méchants, ne se donnent jamais pour un intérêt personnel, mais pour le bien et l’édification de toute l’Eglise » (Cap. X, § 1O).
On peut encore consulter saint Thomas d’Aquin, S. Th. I-II, 111, 1, sol. 2 et 3.
42. S. Augustin, « De gratia et libero arbitrio, » cap. 17 – S. Th. I-II, 111, 2 – Concile de Trente, sess. VI, cap .7, Denz. 798, 799, 819.
43. S. Augustin, Sermo 169.
44. S. Th. I-II, 111, 4.
45. G CASS 1, p. 48, 49.
46. S. Th. I-II, 110, 4, concl. I-II, 111, 5, sol. 2.
47. S. Thomas d’Aquin, « La grâce, » Ed. du Cerf , Paris 1961, Note explicative de Ch.-V. Héris O.P. n° 55, p. 290, 291.
48. G CASS 1, p. 108 – G CASS 3-4, p. 144.
49. L AUT p. 27 – B CRI p. 22.
50. L AUT p. 28.
51. Ibid. p. 18 et 53.

 

 

 

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G2-84519-192-8Analyse Logique et Théologique de la Thèse Dite de Cassiciacum, ou considérations sur l’état actuel

Pour expliquer la situation actuelle de l’Église face aux agissements hérétiques des derniers prétendus papes, certains ont tenté une explication, c’est la thèse de Cassiciacum. Selon cette thèse ces « papes » seraient matériellement pape, mais pas formellement, et conserveraient un droit à la papauté en cas de conversion. Myra Davidoglou, montre que cette opinion s’oppose aux arguments tirés de la théologie, de la philosophie et de l’histoire. En annexe : La Bulle de Paul IV et autres documents.

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Le débat se poursuit donc ; nous publierons tous les arguments pour une disputatio en toute courtoisie (sans anathème, calomnie, provocation ni animosité etc.) reçus en commentaire ou par eMail…

 

 

Written by Cave Ne Cadas

juin 25th, 2013 at 11:07 pm

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Disputatio : THÈSE DITE DE CASSICIACUM

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Une polémique apparaît (dans les commentaires de nos articles) à chaque fois que nous évoquons l’Institut Mater Boni Consilii (IMBC) concernant les tenants et opposants de la “Thèse dite de Cassiciacum”.

Cahier.de.Cassiciacum

Aussi il nous semble bon de publier – en plusieurs parties – une étude déjà ancienne mais toujours irréfutée à ce jour de Myra Davidoglou afin que les tenants de la “Thèse dite de Cassiciacum” puissent nous donner leurs objections et peut-être tenter une réfutation formelle de celle-ci !

Au passage, les lecteurs trouverons aussi des arguments (vérités) sur la vacance du Siège Apostolique dans ecclésiologie de la F$$PX !

 

MYRA DAVIDOGLOU

G2-84519-192-8

ANALYSE LOGIQUE DE LA THÈSE DITE DE CASSICIACUM

 

Ière Partie : La Voie, n° 21 (printemps 1991)

 

À la demande de plusieurs de nos lecteurs nous examinerons ici la thèse dite de Cassiciacum. Contrairement à ce que ce nom pourrait laisser supposer, elle n’a aucun rapport avec l’enseignement ou la personne de saint Augustin, son nom ayant été emprunté à une revue, Les Cahiers de Cassiciacum, où elle a été publiée en 1979.

 

RÉSUMÉ DE LA THÈSE

Nous la résumons aussi brièvement que possible. Selon son auteur, Mgr Guérard des Lauriers, et ses disciples, depuis le 7 décembre 1965, date de la promulgation de la Déclaration conciliaire « Dignitatis humanæ personæ » dont « une proposition est une hérésie, alors qu’elle eût dû être une vérité infailliblement révélée » (1), l’occupant du Siège apostolique a cessé d’être formellement pape ; il ne jouît plus de l’assistance divine promise par le Christ à Son Église ; il est donc privé de l’autorité pontificale (2) et par conséquent du droit de gouverner et d’enseigner l’Église ; ses actes de magistère et de gouvernement sont invalides (3). Cependant, il demeure pape matériellement et, en ce sens, il est « notre Pontife » (4), occupant de droit le Siège apostolique (5) qui par suite ne peut recevoir un autre occupant (4).

Par pape matériel il faut entendre un pape potentiel, quelqu’un qui peut être pape, mais qui ne l’est pas actuellement. Par pape formel on entend un pape au sens plein de ce mot, un homme qui EST actuellement pape, parce qu’il a reçu de Dieu ce qui fait qu’un pape est pape, à savoir la forme du pontificat suprême, qui consiste dans le plein pouvoir de la juridiction universelle (cf. canon 219).

Tous les papes que l’Église catholique a connus depuis sa fondation sont des papes formels ; l’idée d’un pape potentiel ayant droit au titre de Pontife romain et au Siège apostolique est une nouveauté, en ce sens que rien, absolument rien n’autorise à déduire de l’Écriture sainte ou de la Tradition apostolique, les deux seules sources de la Révélation divine, ni même de l’histoire de l’Église, la possibilité de l’existence d’un tel pape. Sous ce rapport, nous avons donc affaire à une doctrine purement humaine dont nous nous bornerons, du moins dans un premier temps, à examiner la rationalité.

 

LES DEUX PROPOSITIONS DE LA THÈSE

On a vu que, dans son ensemble, la thèse se ramène à deux propositions :

  • La première, à savoir que Paul VI, ayant été privé de la juridiction suprême par Jésus-Christ, a cessé d’être pape formellement, cette première proposition est aux yeux de l’auteur une réalité (6), un fait établi avec une certitude de l’ordre même de la Foi (7).
  • De la seconde proposition, selon laquelle Paul VI n’a pas cessé d’être matériellement pape, l’auteur nous dit qu’elle se fonde seulement sur l’apparence (6).

 

LA SECONDE PROPOSITION : UN FAIT DOUTEUX

Cette seconde proposition ne s’infère évidemment pas de la première. À priori, celui qui perd la forme du pontificat, c’est-à-dire le pouvoir de régir et d’enseigner l’Église universelle, perd, par le fait même, le pontificat, lequel ne peut exister sans sa forme dans le sujet d’inhésion, autrement dit, dans l’élu du conclave. Encore une fois, c’est la forme, dans l’acception philosophique de ce terme, qui fait qu’une chose est ce qu’elle est. Sans la forme une chose n’est pas ; dans certains cas, elle peut seulement être, ce qui est différent.

Prenons deux exemples : un bloc de marbre peut devenir une statue, mais il n’en est pas une, tant que le sculpteur ne lui en a pas donné la forme. De même, un ordinand peut être prêtre, mais il ne l’est pas avant son ordination, le sacrement de l’ordre étant comme la forme de la prêtrise.

Dira-t-on que celui qui a perdu la papauté n’en est pas pour autant déchu ? Pour tenter de démontrer la possibilité de ce cercle carré, on devrait au moins, il nous semble, essayer d’exciper de quelque principe certain ou d’un fait indiscutable, non d’une « apparence » qui, en tant que telle, ne peut constituer le fondement rationnel d’une démonstration. Et pourtant, c’est sur « l’apparaitre » (6), comme il dit, que l’auteur va s’appuyer pour tenter d’établir l’occupation non de fait (laquelle est évidente), mais de droit (5) du Siège de Pierre par des hommes comme Montini ou Wojtyla, dont lui-même nous rappelle par ailleurs qu’ils sont des hérétiques, donc « en droit sinon en fait hors de l’Église, parce qu’excommuniés et anathématisés » (8) par le Concile du Vatican (1870).

L’auteur ne nie même pas la possibilité de l’invalidité de l’élection, en 1963, du cardinal Montini et, par voie de conséquence, la possibilité de la vacance du Siège apostolique. Il admet sans difficulté que « les arguments développés (pour prouver l’hérésie du cardinal Montini) sont certes impressionnants, surtout par leur convergence » (9) et constate après l’examen du texte d’une conférence faite par Paul VI (10) avant son élévation au souverain pontificat : « La pensée du cardinal Montini est radicalement viciée par le rationalisme athée » (11). Et de conclure : « La seconde partie du texte cité constitue une impressionnante profession de foi en la doctrine teilhardienne, laquelle aboutit inéluctablement au culte de l’homme, et non à la religion révélée (…). Le cardinal Montini avait-il la foi lorsqu’il fut élu pape ? L’élection fut-elle valide ? Nous nous bornons à rappeler que la question reste ouverte » (11).

La doctrine teilhardienne est une des multiples variantes du panthéisme qui se ramène, en un sens, à l’athéisme, en un autre sens, à l’idolâtrie. Le moins que l’on doive concéder, si l’on ne veut pas se contredire trop visiblement, c’est que l’occupation du Siège apostolique par Paul VI ne paraît pas conforme au droit, qu’un doute pèse sur la légitimité de cette occupation. Or le doute est un état d’équilibre entre l’affirmation et la négation dû à ce que les motifs d’affirmer balancent les motifs de nier. Il s’ensuit que le principal argument sur lequel on s’appuie pour tenter d’établir le droit des pontifes conciliaires au trône de Pierre, le prétendu « apparaître » (6) se détruit lui-même.

 

UNE HYPOTHÈSE NON VÉRIFIÉE

Quoiqu’il en soit de ce dernier point que nous examinerons ultérieurement, la thèse dite de Cassiciacum serait plutôt une hypothèse, et une hypothèse illégitime, puisque l’on y suppose la validité de l’élection de l’occupant du Siège, donc l’existence d’un pape matériel, suppositions qui ne sont ni démontrées par des arguments de raison ou d’autorité, ni vérifiées en elles-mêmes ou dans leurs conséquences. C’est d’ailleurs ce que ses défenseurs admettent de manière implicite, lorsqu’après avoir longuement argumenté ils concluent par cette formule évasive « il n’est donc pas impossible qu’un sujet soit pape matériellement » sans l’être « formellement » (12). Certes, mais il n’est pas impossible, non plus, qu’un sujet ne soit pape ni formellement ni matériellement, qu’il soit même hors de l’Église, ou marié, ou bantou, que sais-je ? Il y a une infinité de choses qui ne sont pas impossibles, qui sont donc possibles. Avec de tels arguments on prouve tout et le contraire de tout. Les tenants de l’hypothèse en déduisent pourtant de manière paradoxale que, tant qu’on n’aura pas prouvé davantage à son encontre, « on doit » tenir pour certain ce qui, de leur propre aveu n’est que possible, à savoir que le chef notoirement hérétique de l’église Conciliaire est pape matériellement (13). « On doit, » disent-ils. Les poussées d’autoritarisme ne sont pas des raisons.

 

LA SOURCE DE L’HYPOTHÈSE : UNE COMPARAISON DE SAINT ROBERT BELLARMIN

L’idée de supposer un pape potentiel pour légitimer l’occupation du Siège de Pierre par un ennemi de la foi vient d’une comparaison du cardinal saint Robert Bellarmin, comparaison dont nous parlerons un peu plus loin car auparavant il faut rappeler que ce docteur de l’Église avait expressément rejeté toute supposition d’un pape hérétique. « Il est prouvé par des arguments d’autorité et de raison que l’hérétique manifeste est déposé ipso facto », écrit-il dans son livre « De Romano Pontifice » (14). Par « déposé ipso facto » on entend que le pape hérétique se trouve déposé par la perpétration même du crime d’hérésie, sans que soit requis un jugement ni même une déclaration de l’Église. « Un hérétique manifeste ne peut pas être pape, dit encore saint Bellarmin. Un pape manifestement hérétique cesse de lui-même d’être le pape et la tête (de l’Église), de la même façon qu’il cesse d’être un chrétien et un membre de l’Église » (14). Pour saint Robert Bellarmin, en effet, comme pour tous les Pères de l’Église, et d’ailleurs pour tous les orthodoxes, celui qui ne confesse pas la foi chrétienne ne peut en aucune façon être membre de l’Église.

Sur ces points les défenseurs de la thèse s’écartent de la doctrine de l’Église. Ils soutiennent que celui qui enseigne habituellement l’hérésie (15) et ne confesse donc pas la foi catholique mais quelque autre croyance ne peut être dit hérétique, attendu qu’il est humainement impossible de prouver qu’il a l’intention d’enseigner l’hérésie, autrement dit, de faire ce qu’il fait (16). À leur avis, seuls le pape et les évêques, qui sont divinement inspirés, connaissent les pensées secrètes des hommes ; seuls, par conséquent, ils ont le pouvoir d’attribuer à quelqu’un une qualification personnelle et de le juger (16). Dans une telle perspective, un homme qui ment habituellement ne peut être dit un menteur, ni celui qui a l’habitude de voler, un voleur, ni l’individu qui commet meurtre sur meurtre, un meurtrier. En tous cas, il serait impossible à un tribunal humain de le prouver, le pape et les évêques, et eux seuls, ayant le pouvoir d’établir la culpabilité de quelqu’un. Voilà qui compliquerait étrangement la vie judiciaire et même la vie tout court, si c’était vrai.

Nous reviendrons plus tard sur cette fiction qui sous-tend la thèse de Cassiciacum et selon laquelle les membres de la hiérarchie sont assimilés à des dieux. Pour l’instant il suffira de noter que le pape et les évêques n’ont pas le pouvoir de divination qu’on leur prête ; car « les anges eux-mêmes ignorent les pensées secrètes des cœurs, objets connus de Dieu seul » (17), comme le rappelle saint Thomas d’Aquin. C’est ce que confirme par ailleurs le pape Léon XIII dans son encyclique « Apostolicæ curæ » : « De la pensée ou intention, en tant qu’elle est une chose intérieure, l’Église ne juge pas ; mais l’Église doit en juger la manifestation  extérieure » (18).

 

LA MATIÈRE ET LA FORME DU SOUVERAIN PONTIFICAT, SELON SAINT ROBERT BELLARMIN

Revenons à la comparaison que l’auteur a empruntée à saint Bellarmin. « Les cardinaux écrit celui-ci, lorsqu’ils créent un pontife, exercent leur autorité non sur le pontife, puisqu’il n’est pas encore, mais sur la matière, c’est-à-dire sur la personne qu’ils disposent en quelque manière par l’élection, pour qu’elle reçoive de Dieu la forme du pontificat » (19). Le saint docteur compare ici l’homme sur qui porte le choix d’un conclave à une matière capable de la forme que le divin Artiste veut lui imposer. Cette forme, l’autorité pontificale, est l’élément déterminant qui constitue le pape comme tel ; la matière, représentée par le « papabile », est l’élément déterminable ; elle doit donc être apte à subir l’action de l’Agent. En effet, toute matière ne reçoit pas toute forme (20) ; à une matière liquide, par exemple, un sculpteur ne peut pas donner au ciseau la forme d’une statue ; d’une meute de chiens un chef d’État ne saurait tirer la forme d’un gouvernement ; il faut à la forme une matière appropriée (21). « Si une matière ne pouvait recevoir la forme imposée par l’artisan, écrit saint Augustin, on ne pourrait lui donner le nom de matière » (22).

Il s’ensuit que pour être capable de la forme de pape un sujet doit être avant tout « formable », donc, en l’occurrence, « papable » et, par conséquent, remplir les trois conditions d’éligibilité du pontife romain, qui relèvent de la loi divine :

1) appartenir à l’Église ;

2) avoir l’usage de sa raison ;

3) pouvoir recevoir les ordres sacrés.

Par la première condition se trouvent éliminés les infidèles, les apostats, les hérétiques et les schismatiques ; par la deuxième, les enfants et les déments ; par la troisième, les femmes. L’élection d’une personne appartenant à l’une de ces catégories serait nulle de droit divin (23).

 

L’ÉLIGIBILITÉ DES PONTIFES « CONCILIAIRES »

Cela étant, pour savoir si Paul VI était matériellement pape, autrement dit, s’il était une matière apte à subir l’action de l’Agent divin, il faut commencer par se demander si Jean Baptiste Montini était éligible (24). Nous considérons le cas de Montini parce que c’est celui qu’a examiné l’auteur du système de Cassiciacum, les mêmes arguments et les mêmes conclusions valant, « mutatis mutandis », pour Karol Wojtyla. On a vu que pour l’auteur l’hypothèse d’une chute de Paul VI dans l’hérésie avant son élection n’est pas à exclure ; dans ce cas il eût été inéligible (24). « S’il en était ainsi, écrit-il, nous tenons que le cardinal J.B. Montini n’a jamais été pape » (25).

Pour certains de ses disciples, en revanche, le doute n’est guère possible ; tant Montini que Wojtyla réalisaient en leurs personnes toutes les données observables, nécessaires et suffisantes pour recevoir de Dieu l’autorité pontificale (26) ; ils étaient incontestablement la « matière » appropriée. Ce certificat implicite d’orthodoxie délivré à deux modernistes notoires paraît d’autant plus surprenant que les disciples en question ne peuvent avoir ignoré « l’inquiétante profession de foi » du cardinal Montini « en la doctrine teilhardienne », selon l’expression de leur maître à penser, doctrine publiée dans les Cahiers de Cassiciacum, auxquels ils collaboraient ou qu’ils lisaient (11), ni l’adhésion publique du cardinal Wojtyla aux doctrines hérétiques promulguées par le conciliabule Vatican II bien avant son accession au pontificat suprême (27). Mais, quoiqu’il en soit de cette divergence initiale de vues entre maître et disciples, tous s’accordent en définitive pour soutenir que l’occupant du Siège apostolique est et demeure potentiellement pape (28) et par suite, du moins dans leur optique, pape de  droit (5).

 

MONTINI N’A JAMAIS REÇU LA FORME DU PONTIFICAT

Quant à la question de savoir si cet occupant n’a jamais reçu de Dieu la forme du pontificat ou s’il l’a perdue après l’avoir reçue, ils la laissent sans réponse (29). L’élu du conclave, disent-ils simplement, a fait obstacle à la réception de la forme, en refusant dans son for intérieur, à un moment qu’ils ne précisent pas, de réaliser le bien de l’Église (30). On peut évidemment tout imaginer. Ce défaut d’intention s’induirait des faits observés, c’est-à-dire des hérésies enseignées par l’occupant postérieurement à son élection (31).

Pourtant il eût été facile d’apporter une réponse à cette question. L’auteur admet, on l’a vu, que Paul VI, en promulguant le 7 décembre 1965 une déclaration hérétique qui eût dû être une vérité divinement révélée (1), ne jouissait pas de l’assistance divine promise par Jésus-Christ à son Église (Matt XXVIII, 20) et à Pierre (Luc XXII, 32). Or s’il n’était pas investi alors de la force de ne pas pouvoir faillir dans l’exercice de sa charge de docteur de tous les chrétiens, c’est qu’il ne l’avait jamais été auparavant ; autrement, il n’aurait pu faillir, comme il l’a fait, dans cet exercice. Supposer le contraire est absurde. Il s’ensuit que Paul VI est mort sans avoir jamais reçu la forme du Pontificat. Reste à savoir s’il eût pu la recevoir ou si son successeur, Jean-Paul II, peut la recevoir, autrement dit, si un occupant publiquement hérétique du Siège de Pierre est un pape en puissance, comme l’affirment les tenants de l’hypothèse.

À suivre…

Abréviations utilisées dans les références :
G : Mgr M.L. Guérard des Lauriers, o.p.
L : Abbé Bernard Lucien
B : Abbé Hervé Belmont
CASS : « Cahiers de Cassiciacum », Études de sciences religieuses, Assoc. Saint-Herménégilde, Nice 1979-1981
AUT : « La situation actuelle de l’autorité dans l’Église », Documents de catholicité, As. Saint-Herménégilde, Nice, 1985
SLB : « Sous la Bannière », A.M. Bonnet de Viller, 18260 Villegenon
BOC : « Bulletin de l’Occident Chrétien », 92310 Sèvres
CRI : « L’exercice quotidien de la Foi dans la crise de l’Église », Oratoire N-D de la Sainte Espérance, Bordeaux 1984

1. G CASS 1, p. 12 et 16.
2. L AUT p. 9
3. G Cass 1, p. 37.
4. Ibid. p. 36, n° 3.
5. G CASS 1, p. 36, n° 21 – B CRI, p. 22 – L AUT, p. 27.
6. G CASS 1, p. 21.
7. L AUT p. 9 et 11.
8. G SLB, Suppl. au N° 8, Nov/Déc. 1986, p. 10.
9. G CASS 1, p. 36, n° 2.
10. Cardinal Montini, « Religion et travail, » 27 mars 1960, Turin, Doc. Cath. 19/06/1960, n° 1330 – Voir l’étude de ce texte dans la Voie n° 9, p. 13 sq.
11. G CASS 1, p. 107 et 108.
12. L CASS 2, p. 85.
13. Ibid. p. 86.
14. S. Robert Bellarmin, « De Romano Pontifice » Lib. II, cap. XXX.
15. « Déclaration de Mgr Guérard des Lauriers, » BOC n° 84, Octobre 1983.
16. G CASS 1 p. 79 et 82.
17. S.Th. Ia, 12, 8.
18. « De mente vel intentione, utpote per se quiddam est interius, Ecclesia non iudicat ; at quatenus extra proditur iudicare ea debet » Léon XIII, Encycl. « Apostolicæ curæ », 13 septembre 1896, Denz. 3318.
19. « De Romano Pontifice, » op. cit. Lib. II, cap. XXX.
20. Cf. Aristote, « Physique, » II, 2, 194 b 9 et passim.
21. Aristote, « De anima, » II, 2, 414 a 25.
22. S. Augustin, « De natura boni, » XVIII, 18.
23. Xavier Da Silveira, « La Messe de Paul VI : qu’en penser ? » : « C’est une opinion commune que l’élection d’une femme, d’un enfant, d’un dément ou de ceux qui ne sont pas membres de l’Église, c’est-à-dire les non baptisés, les apostats, les hérétiques et les schismatiques, est nulle par la loi divine. »
Sipos-Galos, « Enchiridion luris Canonici » : « Eligi potest (sc P.R.) quodlibet masculum, usu rationis pollens, membrum Ecclesiae. Invalide ergo eligerentur feminæ, infantes, habituali amentia laborantes, non baptizati, hæretici, schismatici. Pour être élevé au Souverain Pontificat il faut donc être « de sexe masculin, avoir l’usage de sa raison et être membre de l’Église. Sont donc invalides les élections de femmes, d’enfants, de déments, de non baptisés, d’hérétiques et de schismatiques ».
Plöchl, « Lexikon für Theologie und Kirche », 1963, T. VIII, col. 60/63 : « Wählbar ist ein getaufter, männlicher, rechtgläubiger Katholik, ausgenomen Unnmündige u. Geisteskranke » Est donc éligible « un catholique baptisé, de sexe masculin, orthodoxe, à l’exception des mineurs et des aliénés ».
Après la doctrine commune des théologiens et canonistes, il convient de rappeler l’enseignement du Magistère. Le pape Paul IV, dans sa Constitution apostolique « Cum ex Apostolatus Officio », du 15 février 1559, définit comme nulle, non valide et de nul effet l’élection d’un homme qui a dévié de la foi catholique. Voir notre étude dans La Voie, N° 6, 7, 9, 10, 11, 12, « Portrait d’un papabile : J.B. Montini ».
24. G CASS 1, p. 88, 107, 108.
25. Ibid. p. 88.
26. L AUT, p. 31.
27. Karol Wojtyla, « Aux sources du renouveau », Étude sur la mise en œuvre du Concile Vatican II, Le Centurion, Paris 1981 – Édition originale parue en langue polonaise sous le titre « U podstaw odnowy, Studium o realizacji Vaticanum II », Krakow 1972.
28. G CASS 1, p. 36, n° 3 et note 21 – L AUT p. 53.
29. G CASS 1, p. 37 et note 22.
30. L CASS 2, p. 86 et passim.
31. G CASS 1, p. 9, 12, 16 et 68 à 71.

Vous pouvez également commander le livre aux Éditions Saint-Remi :

G2-84519-192-8Analyse Logique et Théologique de la Thèse Dite de Cassiciacum, ou considérations sur l’état actuel

Pour expliquer la situation actuelle de l’Église face aux agissements hérétiques des derniers prétendus papes, certains ont tenté une explication, c’est la thèse de Cassiciacum. Selon cette thèse ces « papes » seraient matériellement pape, mais pas formellement, et conserveraient un droit à la papauté en cas de conversion. Myra Davidoglou, montre que cette opinion s’oppose aux arguments tirés de la théologie, de la philosophie et de l’histoire. En annexe : La Bulle de Paul IV et autres documents.

http://www.saint-remi.fr/details-catalogues.php?id=%201397

Le débat est donc ouvert ; nous publierons tous les arguments pour une disputatio en toute courtoisie (sans anathème, calomnie, provocation ni animosité etc.) reçus en commentaire ou par eMail…

 

M. l’abbé Belmont : un MAITRE sûr ? (II, b)

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M. l’abbé Belmont : un MAITRE sûr ?

— partie 2 (b) —

Réponse au bulletin
n°269 Notre Dame de la Sainte Espérance
juin 2012, de M. l’abbé Belmont.

 

LA VOIX DES FRANCS CATHOLIQUES N°25, des éditions Saint-Remi est parue début juillet.

 

La Voix des Francs Catholiques

Numéro 25
Juillet 2012

 

Réponse au bulletin

n°269 Notre Dame de la Sainte Espérance

juin 2012, de M. l’abbé Belmont.

 

Suite de la partie 2

 

1er point : sa justification pour encourager certains de ses fidèles à recevoir la confirmation dans le rite traditionnel, d’un évêque conciliaire, sacré avant Vatican II.

2ème point : son rejet d’un certain nombre d’auteurs catholiques éminents publiés aux éditions Saint-Remi, en particulier Mgr Gaume.

3ème point : son rejet de la mission divine de la France.

 

II.

Abordons maintenant l’opposition de M. l’abbé Belmont à la ligne éditoriale des éditions Saint-Remi[14], et en particulier au dénigrement de Mgr Gaume dont nous avons publié toutes les œuvres pour le plus grand bien d’un très grand nombre de lecteurs qui nous l’ont manifesté.

Pour cela il s’appuie sur une courte citation lapidaire de Dom Guéranger[15] :

« L’abbé Gaume est profondément ignorant, vous ne pouvez le suivre en aucune façon » (Histoire du Cardinal Pitra par Dom Cabrol, Paris 1893, p. 193)

Vu les innombrables approbations dont a bénéficié Mgr Gaume de la part de Rome[16] (Papes, concile provincial d’Amiens sanctionné par Rome sous la direction du Cal Gousset), et des plus grand penseurs catholiques de son époque, face à cette citation contradictoire et incohérente, nous sommes allés voir le chapitre complet de l’ouvrage en question, et voilà que mise dans son contexte on s’aperçoit que Dom Guéranger a été trompé par un faux rapport sur un ouvrage (Le Ver Rongeur des Sociétés Modernes) qu’il n’a manifestement pas lu.

Plus ! Dom Guéranger propose à Dom Pitra exactement ce que Mgr Gaume prônait : « L’abbé de Solesmes n’eut garde de refuser à dom Pitra la permission de donner son sentiment sur la question, d’autant qu’il partageait toutes ses idées : « J’approuve de tout point, lui dit-il, votre manière de voir. Le contraire est absurde, seulement je voudrais dans les classes l’étude parallèle des classiques profanes et des classiques sacrés[17]. » C’est tout le combat de Mgr Gaume, qui a d’ailleurs mis au point une bibliothèque des classiques grecs et païens de 24 volumes pour toutes les classes, dont nous avons réédités certains volumes.

Dom Cabrol avoue dans ce même chapitre que Dom Pitra a un jugement trop sévère sur l’abbé Gaume : « Tout serait à louer dans cette lettre, fond et forme, si l’enthousiasme de dom Pitra pour l’antiquité classique ne l’eût entraîné à un jugement que nous serions tenté de trouver trop sévère, au sujet de l’abbé Gaume. Le livre du paganisme dans l’éducation contient au milieu de thèses paradoxales bien des idées justes et des vérités piquantes sur le moyen âge chrétien, la renaissance païenne du seizième siècle et l’éducation chrétienne. » La preuve est faite que Dom Guéranger a été trompé par Dom Pitra, et que par conséquent son jugement lapidaire est erroné.

Il n’est donc pas très correct de discréditer ainsi Mgr Gaume par une citation sortie de son contexte.

 

Mais voyons de plus près si Mgr Gaume était profondément ignorant, où si ceux qui l’accusent ainsi malgré le recul de l’histoire (que Dom Guéranger n’avait pas en 1851), ne manifestent pas eux-mêmes leur propre ignorance.

Mgr Jean-Joseph GAUME fut le neuvième enfant d’une famille patriarcale de cultivateurs qui, aux plus mauvais jours de la Révolution, avait donné asile aux prêtres persécutés. Il naquit à Fuans (Doubs), le 5 juin 1802. Il fit ses études littéraires au petit séminaire d’Ornans et sa théologie au grand séminaire de Besançon sous la direction de l’abbé Busson, son cousin, dont le père avait été condamné à la guillotine par le tribunal révolutionnaire de Maîche, le 14 octobre 1793. Ordonné prêtre en 1825, il fut deux ans vicaire à Vesoul. Sur l’indication de l’abbé Gerbet, Mgr Millaux, évêque de Nevers, le demanda, en 1827, pour professer le dogme dans son grand séminaire et il le nomma chanoine honoraire. L’abbé Gaume n’occupa la chaire de dogme que durant l’année scolaire 1827-1828. En 1828, il devint supérieur du petit séminaire de Nevers et il réorganisa avec succès cette maison sous le triple rapport de la piété, de la science et de la discipline. En 1829, tout en gardant cette charge, il fut chanoine titulaire de la cathédrale. Le gouvernement français exigea, en 1831, des supérieurs des maisons d’éducation qui ne faisaient pas partie d’une congrégation approuvée, le serment imposé par les ordonnances du 11 juin 1828. Quoique prêtre séculier, l’abbé Gaume refusa une déclaration que le pouvoir civil n’avait pas le droit de lui demander, et il quitta le petit séminaire. Il dirigea dès lors le catéchisme de persévérance des jeunes filles de toute la ville, œuvre dont il fut chargé pendant vingt ans. Il initiait ses élèves, dont le nombre dépassait 300, à la pratique des bonnes œuvres, et il était lui-même président de l’œuvre Saint FrançoisXavier pour les ouvriers et directeur de la conférence de Saint Vincent de Paul. Au cours d’un voyage à Rome en 1842, il reçut du pape Grégoire XVI, la croix de l’ordre de Saint Sylvestre en récompense de son dévouement et des services qu’il avait rendus à la religion par ses ouvrages. Le 19 août 1843, il donna sa démission de chanoine titulaire pour être vicaire général de Mgr Dufêtre ; il eut part à l’administration diocésaine à ce titre jusqu’en 1852 ; il démissionna alors en raison de son dissentiment avec le prélat au sujet des classiques chrétiens. Il avait ouvert la controverse sur l’abandon des auteurs païens de l’antiquité et il menait campagne avec Louis Veuillot contre Mgr Dupanloup. Au mois de novembre 1852, l’évêque de Nevers adressa à son clergé une circulaire dans laquelle il prenait parti contre les idées de son vicaire général. L’abbé Gaume quitta Nevers, tout en demeurant chanoine d’honneur de la cathédrale, et se retira à Paris auprès de ses frères, qui étaient libraires-éditeurs. Le comité ecclésiastique de Pontarlier l’avait présenté au suffrage des électeurs de l’arrondissement, en 1849, pour la députation. L’université de Prague lui avait donné le titre de docteur en théologie, le 28 août 1848 ; les évêques de Reims, de Montauban et d’Aquila le nommèrent vicaire général (ce dernier, le 13 juin 1856). Le pape Pie IX l’éleva, en 1854, à la dignité de protonotaire apostolique ad instar participantium. En 1872, le préfet de la Propagande lui confia la charge de directeur général de l’Œuvre apostolique, destinée à venir en aide aux missionnaires. Il mourut à Paris le 19 novembre 1879. Il fut, toute sa vie, un prêtre pieux et zélé, d’un caractère bon et affable, très dévoué à l’Église et au siège apostolique.

À propos de la controverse sur les classiques païens il faut dire à l’encontre de Dom Pitra, que Rome a parlé, la dispute est donc terminée. Dom Cabrol qui écrit en 1893 ignore-t-il ce bref de Pie IX qui donne raison à Mgr Gaume, suite à la publication de PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES, APPEL AUX PÈRES DE FAMILLE ET AUX INSTITUTEURS DE LA JEUNESSE où est cité en sus ce Bref de Pie IX ?

PIE IX, PAPE.

« Cher fils, salut et bénédiction apostolique.

« Nous avons reçu avec joie la lettre filiale et les offrandes que, en votre nom et au nom des pieux fidèles dont vous dirigez la conscience, vous Nous avez adressées. En vous voyant si plein de sollicitude pour Nous, Notre ardent désir est que vous jouissiez de cette félicité de l’âme, que ni l’iniquité des temps ni la haine des hommes ne peuvent ôter aux justes et aux sages.

« Aussi, que les oppositions et les critiques malveillantes de quelques-uns ne vous émeuvent pas, puisque, comme vous le dites, le but unique de vos écrits a été de défendre, dans la question des études, les règles que vous saviez être par Nous approuvées : savoir, faire étudier à la jeunesse, avec les ouvrages classiques des anciens païens, purgés de toute souillure, les plus beaux écrits des auteurs chrétiens.

« C’est pourquoi nous jugeons à propos que vous bannissiez toute anxiété, bien plus, que vous reposiez dans une parfaite tranquillité. Car ceux qui dans leur conduite ne se proposent que la gloire de Dieu et le salut des âmes, sont assurés de s’acquérir de grands mérites devant Dieu et une solide gloire aux yeux des hommes sages. Et ce sont des titres de gloire préférables à ceux qui reposent sur les vains jugements et opinions du vulgaire.

« Soyez donc plein de courage et d’ardeur et recevez comme gage des faveurs divines la bénédiction apostolique, que Nous vous donnons dans toute l’effusion de Notre cœur, à vous et aux fidèles nommés plus haut, qui se sont unis à vous pour Nous offrir l’hommage de leur piété filiale.

« Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 22 avril 1874. De Notre pontificat l’année vingt-huitième.

PIE IX, Pape ».

 

 

Est-il vrai que Monseigneur Gaume soit profondément ignorant ? Laissons parler l’abbé Pelletier[18] qui en a assuré déjà il y a bien longtemps la défense, en s’appuyant sur le Magistère de l’Église, sur les auteurs les plus éminents et sur le bon sens :

« On a dit, et sur tous les tons, que Mgr Gaume est un exalté, un exagéré, un homme à idées singulières. Soit. Mais à présent que les adversaires de cet illustre auteur veuillent bien examiner un instant avec moi certains de ses ouvrages où n’est pas traitée la question des classiques, son Manuel des Confesseurs, par exemple. Oh ! ici nous nous trouvons parfaitement d’accord pour louer et admirer. Nous n’hésitons pas à dire que ce Manuel est une œuvre unique, parfaite, si excellente que c’est quasi un devoir pour tout prêtre de le lire aussi assidûment que l’Écriture Sainte. Nous proclamons encore que ce livre, ne fût-il qu’une pure compilation eût exigé comme tel dans son auteur une science, une érudition, une prudence, une sagesse, un esprit de discernement, u n bon sens pratique chrétien plus qu’ordinaire.

Qui n’admirerait encore Les Trois Rome qui décèlent une étude si approfondie, une connaissance si parfaite des temps anciens et surtout des premiers âges de l’Église ? Et sans parler de plusieurs autres livres excellents, sortis de la plume du même auteur, ne suffit-il pas de nommer l’Histoire de la Société domestique, Le Signe de la Croix au dix-neuvième siècle[19], que S. E. le cardinal prince Altiéri, préfet de la S. C. de l’Index., appelle un livre admirable, et particulièrement ce beau Catéchisme de Persévérance qui a conquis une popularité européenne et même américaine. Souvenons nous enfin que Grégoire XVI, dans un Bref adressé à Mgr Gaume et par lequel il le crée Chevalier de l’ordre de la Milice Dorée, lui dit, après les éloges les plus flatteurs donnés à ses grands talents et à sa piété, que ses ouvrages n’ont pas rendu un médiocre service à la religion.

Quand donc un prêtre, aussi grave, aussi savant, aussi zélé, aussi expérimenté que l’est celui qui a doté la bibliothèque chrétienne de ces précieux ouvrages, entreprend de parler de la réforme à opérer dans l’enseignement, on doit à priori, raisonnablement supposer qu’il n’a point entrepris de traiter une question de cette importance, sans savoir ce qu’il disait, sans faire de longues réflexions et de sérieuses études, sans prendre de nombreux et sûrs conseils. Un bon sens, assez peu cultivé même, nous dit qu’il faut tenir compte de tout un ensemble de faits lorsqu’il s’agit de mesurer l’estime qu’on accorde à quelqu’un. Si les adversaires de Mgr Gaume eussent daigné suivre ce dictamen de la commune raison, ils n’auraient pas été aussi prompts à s’écrier qu’ils ne voyaient dans sa thèse contre le paganisme dans l’enseignement, qu’un amas d’accusations dont le titre seul révèle l’inanité, des témérités d’opinion et de langage, des emportements d’esprit, des déclamations violentes, bonnes seulement à produire le trouble et le scandale, enfin, une aberration.

Qu’est-ce donc maintenant que cette thèse de Mgr Gaume qui a soulevé en France de si chaudes et de si vives discussions ? Cette thèse ? Elle se résume à dire : eu égard aux penchants de l’homme déchu, eu égard surtout à l’état du monde actuel, païen dans le luxe et l’immodestie de ses habits, païen dans sa littérature dont le fonds est ou puéril ou immoral, païen dans ses arts d’agrément, qui ont fait servir le pinceau, le ciseau, la musique à reproduire des objets que la pudeur ne nomme pas, à exalter des sentiments dont la présence est une souillure, païen dans sa philosophie qui ne tend qu’à émanciper la raison individuelle, païen dans sa politique qui nie les droits de Dieu en proclamant ceux de l’homme, qui veut le règne de la démocratie pure et l’anéantissement de toute influence religieuse sur le pouvoir civil, païen enfin dans toutes ses aspirations qui sont grossières, terrestres, bestiales, il est d’une extrême importance de nourrir la jeunesse chrétienne et catholique de christianisme et de catholicisme.

Mgr Gaume fait ensuite voir de quel contre bon sens l’éducation se rend coupable depuis trois siècles en donnant, pour précepteurs et pour modèles, à des âmes baptisées toute cette pléiade de prétendus grands hommes de l’antiquité qui, sans en excepter le divin Platon et l’immaculé Cicéron, peuvent tous être désignés par ce mot d’un Père de l’Église : Animalia gloriæ et voluptatis. Il nous révèle les ignominies de ces grands modèles de perfection humaine et nous fait voir que tous leurs mouvements, au lieu de tendre vers en haut, tendent vers ce qu’il y a de plus bas ; qu’au lieu de s’élever comme l’aigle, ils rampent comme la chenille ; qu’au lieu de se nourrir comme l’abeille du suc parfumé des fleurs, comme la mouche stercoraire ils s’abattent sur l’ordure. Pas une violation de la plus sainte des lois devant laquelle ils reculent ; pas une souillure qu’ils s’épargnent.

Voilà probablement c e qui a mérité à Mgr Gaume le titre d’insulteur de l’Église, et en effet il y avait de quoi. Passe pour jeter une poignée de boue à la face d’un saint Père avec un sourire niaisement impie, ce n’est là qu’une peccadille ; mais attaquer Ciceron ! Platon !  le divin Platon ! oh ! pour le coup un tel attentat doit exciter une indignation universelle ; c’est un attentat trois fois sacrilège !

Qu’est-ce encore que la thèse de Mgr Gaume ? C’est un long et magnifique commentaire de l’un des décrets du Vè concile général de Latran qui déclare que la philosophie et la littérature païenne sont infectes dans leurs racines, et qui n’en permet l’étude qu’après avoir exigé des précautions infinies ; c’est la démonstration parfaite, histoire en main pour prouver par des faits nombreux les terribles ravages exercés dans le monde moderne par la mise en honneur du paganisme gréco-romain, de la sagesse divine qui inspirait le Saint Concile de Trente quand dans la VIIè des X règles de l’Index, éditées par son ordre, il défendait pour aucune raison de laisser lire aux enfants, même sous prétexte d’élégance de style et de langage, les livres des païens qui renferment des choses lascives et obscènes.

Il importe encore de signaler ici que l’Église avait formulé cette thèse, même dès les premiers siècles de son existence, par l’organe de ses membres les plus saints et les plus éclairés, je veux dire les Saints Pères. C’est ce que reconnaît Rollin lui-même, tout saturé de paganisme qu’il était lorsqu’il dit : « La lecture des poètes, condamnée si unanimement par les Pères, et même par les païens, peut-elle donc être permise dans les écoles ? (Tr. Des Et. p. 576.) Pour abréger, je n’en citerai que deux : saint Augustin et saint Jérôme. Le premier, qu’on ne traitera certainement pas d’esprit léger, regarde la coutume où l’on était, de son temps, d’expliquer les fables des poètes dans les écoles chrétiennes comme un funeste torrent auquel personne ne résistait, et qui entraînait les jeunes gens dans l’abîme éternel. (Conf. lett. ch. XVI.) Le second ne craint pas de qualifier très énergiquement l’ensemble de la philosophie et de la littérature païenne, en l’appelant nourriture des démons. Cibus est, dæmoniorum, sæcularis philosophia, car- mina pœtarum, rhetoricorum pompa verborum (Lt.,Hier. Epist. ad. Dam. de decob. filiis opp. t. IV, p. 153).

Ces textes sont précis, comme on le voit, et vont directement au but ; ils ne permettent guère de regimber. Toutefois on a trouvé le moyen de leur faire signifier toute autre chose que ce qu’ils veulent dire, pris dans leur sens naturel, et l’on a même eu le courage de composer de gros volumes pour prouver que donner la préférence aux classiques chrétiens sur les classiques païens, loin d’être conforme à l’esprit de l’Église, était en complète opposition avec lui, et que par conséquent les ouvrages de Mgr Gaume contre le Paganisme dans l’éducation était digne de censure. Il fallait une pareille sortie pour faire briller la vérité dans tout son jour. Aussi Mgr Gaume alla-t-il lui-même à Rome soumettre à la Congrégation de l’index les ouvrages où il avait traité la question des classiques, et, quelques temps après, le Père Cirino, consulteur des clercs réguliers, lui fit parvenir la consultation suivante :

“Monsieur et très respectable abbé, les principes de foi et de zèle, qui vous ont inspiré le rare courage de soulever une question aussi utile et aussi délicate qu’est la question de l’abus des classiques païens dans les écoles seront infailliblement reconnus et admirés de quiconque voudra se procurer l’avantage de lire ce que vous avez publié à ce sujet.

“Attaquer de front une coutume invétérée et universelle a paru à quelques-uns une présomption et une injure envers l’Église. Rassurez-vous cependant ; car d’un autre côté des personnages, non point en petit nombre ou obscurs, mais en grand nombre et on ne peut plus distingués, vous encouragent, vous secondent et se font vos compagnons d’armes dans cette guerre contre le paganisme, infiltré dans l’éducation et débordé contre les sociétés modernes.

“ (…) Empêcher les jeunes gens qui doivent étudier le grec et le latin de puiser leurs premières idées dans les auteurs païens, desquels, excepté la langue, on n’apprend rien de bon et dont on peut apprendre beaucoup de mal, et d’autre part, leur mettre entre les mains des livres chrétiens où, tout en apprenant une langue, qui est aussi une langue grecque ou latine, l’esprit et le cœur des enfants, faciles à recevoir et fidèles à retenir les premières impressions, se pénètrent, presque sans s’en apercevoir, de religion, de vertu, de piété, qui, en fin de compte, sont l’essentiel de la vie morale de l’homme : rien de tout cela assurément ne peut être appelé un outrage à l’Église. Je dirai plutôt que c’est un moyen de seconder ses vues.

“ (…) Il me semble que c’est faire trop d’honneur à Homère et à Virgile, à Démosthène et à Cicéron, que de déclarer l’Église solidaire de l’injure qu’on leur fait en les bannissant de quelques écoles. Je ne sache pas que l’Église ait jamais fait de canon pour sanctionner une règle, un programme d’études élémentaires. Aussi, chaque évêque, chaque congrégation religieuse, a pleine liberté de suivre telle méthode qu’elle reconnaît plus appropriée aux circonstances des temps et plus conforme à la pratique des lieux, ou bien d’introduire un système qui lui soit tout à fait propre. Dans ce dernier cas, ce serait une nouveauté, jamais une injure aux autres évêques ou aux autres congrégations, bien moins encore à l’Église.

“L’Église n’a pas imposé l’usage des classiques païens, elle l’a toléré. Elle ne regardera donc pas comme une injure si on éloigne d’elle ce qui était en elle, mais qui ne venait pas d’elle. L’usage des classiques païens fut imposé par les exigences du siècle, et à grand regret adopté par les pasteurs spirituels. Que ne fit pas saint Charles pour exclure du programme d’études de son séminaire les auteurs païens ? Par une prudente condescendance, il dut cependant tolérer qu’on les y introduisit ”.

On sait en effet que la crainte, hélas ! trop fondée, de voir la jeunesse milanaise prendre le chemin des universités et des gymnases protestants, où régnaient Homère et Virgile, contraignit saint Charles à modifier son premier plan.

Le Père Cérino termine en disant :

“Pour conclure je dirai à Votre Révérence que, suivant ma manière de voir, elle peut sans inquiétude, sans difficulté ou inconvénient soutenir sa thèse, laquelle seconde les vues de l’Église, loin de les contrarier ”.

Voilà ce qui peut s’appeler un témoignage fort explicite en faveur de la thèse ; il part de haut comme on voit, et de toute son autorité il confirme l’interprétation qu’a donné Mgr Gaume aux paroles des Saints Pères, aux actes solennels de l’Église dans les conciles de Trente et de Latran.

Mais voici bien autre chose ; une voix part encore de plus haut et parle absolument dans le même sens que celle que nous venons d’entendre. C’est à décourager tous les représentants des vieilleries païennes. En réponse à une lettre de S. E. le Cardinal Gousset, partisan zélé du plan d’études de Mgr Gaume et qui l’a même adopté pour tous les séminaires de son diocèse, comme nous le verrons tout à l’heure, le cardinal Antonelli écrivait de Rome le 30 Juillet 1852 :

“Éminentissime et Révérendissime Seigneur, outre le grand prix que j’ai coutume d’attacher aux communications de Votre Éminence, celle que vous avez adressée, sous le pli du 13 du courant, à propos de la fâcheuse divergence qui s’est récemment élevée en France, sur le choix des livres pour l’enseignement littéraire, a une extrême importance.

“La parfaite connaissance, que l’on a de la sagesse et du profond discernement qui distinguent votre Éminence, était déjà une raison plus que suffisante de compter sur la justesse et l’étendue de vos vues dans l’appréciation de la susdite controverse. Cette assurance, conçue d’avance, et que le Saint Père, à bon droit, partageait avec moi a été parfaitement confirmée.

“ (…) En applaudissant hautement à l’intérêt que Votre Éminence a attaché à cette affaire, et qu’elle a fait servir avec un zèle et une sagesse admirables à atteindre un but pleinement conforme aux vues du Saint Siège, je suis heureux de vous offrir en même temps l’assurance du profond respect avec lequel je vous baise humblement les mains”.

L’année suivante, 1858, la thèse de Mgr Gaume recevait de Rome l’approbation la plus encourageante, bien qu’implicite, par la confirmation de tous les actes et décrets du concile d’Amiens, tenu le 10 janvier de cette année sous la présidence de S. E. le Cardinal Gousset. Voici les décrets de ce concile relatifs à l’éducation. La citation est longue, mais comme le concile parle d’or, je crois qu’on la lira avec un sensible plaisir.

“Voici quel est le principe fondamental qui doit présider au régime des écoles ; le but de l’Éducation est de former les jeunes gens à la vie chrétienne surtout, et en même temps à la vie civile et aux sciences qui s’y rapportent. Les collèges, qui sont pour les enfants comme une seconde famille, ne doivent pas satisfaire moins parfaitement à ce devoir que l’éducation domestique à laquelle ils suppléent.

“Pour que les écoles soient vraiment dirigées vers cette fin, il ne suffit pas que les jeunes gens assistent aux instructions religieuses qui leur transmettent la connaissance des vérités surnaturelles, mais il est nécessaire en outre que les sciences naturelles qu’ils apprennent dans les classes non seulement ne nuisent pas à la culture chrétienne des esprits, mais lui servent et en dépendent, de sorte que la religion soit comme une âme qui donne le mouvement à la masse des études et se répande dans tout le corps de l’enseignement.

“Cet ordre a dû sans doute être toujours suivi dans l’éducation de la jeunesse, mais les conditions du temps présent l’exigent plus strictement encore, car il n’est rien que l’éducation ne doive tenter pour rendre les jeunes gens fermes et robustes dans la foi, puisqu’’au sortir des écoles ils sont entourés de tous côtés par les séductions et les assauts des mauvaises doctrines.

“Dans cette organisation chrétienne des études, il faut porter une attention spéciale sur trois grandes parties de l’enseignement qui embrassent les lettres, l’histoire et la philosophie. Leur sage direction dépend d’une vérité que les professeurs doivent méditer avant tout, et sur, laquelle roule toute éducation chrétienne, savoir que l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, quoique essentiellement distincts, sont tellement unis chez les chrétiens, que, par suite de cette union, l’ordre naturel reçoit de l’autre des lumières supérieures, qui le pénètrent et le perfectionnent de diverses manières”.

“Ainsi, dès le début, nous voyons les Pères du concile désapprouver cette séparation qui, cependant, fait le fond, la base et l’essence de toute la philosophie actuellement enseignée. En effet, on fait une profession ouverte de n’enseigner en philosophie que ce qui peut être découvert par les seules forces de la Raison.

“Les Pères du concile continuent en disant :  « Et d’abord, dans la littérature, on voit briller les éléments du beau naturel, que le génie de l’homme perçoit et élabore par ses propres forces. Ce genre de beauté se fait remarquer dans un grand nombre d’ouvrages païens, où il consiste, en grande partie, dans un soin exquis de la forme et dans un art merveilleux. (Remarquons ici en passant que le beau naturel, que les Pères du concile reconnaissent exister dans un grand nombre d’ouvrages païens, est surtout le beau de la forme ; ils ne préconisent pas les idées que revêtent ces belles formes). Mais après que l’Évangile eut éclairé et échauffé les âmes, lorsqu’il eut ouvert à l’intelligence et au cœur de l’homme des régions plus hautes et de plus vastes espaces, on voit apparaître un nouvel ordre de beauté surnaturelle, qui, plus sublime en soi, perfectionne la substance de l’autre ordre, et, tout en recevant les formes du beau naturel, produit néanmoins une expression qui lui est propre, comme le prouvent une foule de livres, de poèmes et de discours, dans lesquels éclate la majesté du génie chrétien. Les professeurs ne doivent donc pas expliquer les monuments de la littérature païenne sans exposer aussi les principes et les modèles de la littérature chrétienne, en ayant soin de bien faire remarquer l’influence des éléments qui lui sont propres.

« Il faut en dire autant de l’histoire. On retrouve chez tous les peuples les éléments naturels de la société civile, savoir : la famille, le mariage, les relations des parents et des enfants, la distinction des riches et des pauvres, les droits publics et privés, le pouvoir et l’obéissance, et tout ce qui dérive de cet ordre de choses. Mais il est évident que chez les peuples éclairés par la lumière surnaturelle de l’Évangile, ces termes ont une signification, à certains égards, différente de celle qu’ils avaient dans les ténèbres du paganisme, et que la notion chrétienne de ces éléments sociaux, non seulement diffère beaucoup des idées corrompues qui dominaient chez les païens, mais aussi qu’elle est bien supérieure aux notions même justes qu’ils pouvaient concevoir par la seule lumière naturelle. D’où il suit que les principes de la société civile, élaborés et comme transformés par la vertu de la révélation évangélique, ont été élevés à un degré supérieur de dignité et d’excellence. Que les professeurs d’histoire n’épargnent donc aucun soin pour faire saisir graduellement à leurs élèves cette union des éléments naturels et de l’élément surnaturel, ainsi que les merveilleux effets qu’elle a produits. »[20] »

 

Au regard de tous ces témoignages à la fois du Magistère de l’Église et des personnages catholiques les plus éminents de cette époque, au regard de notre propre connaissance des ouvrages si érudits de Mgr Gaume[21], nous trouvons particulièrement choquant de traiter ainsi Mgr Gaume de « profondément ignorant ». Car cette accusation retombe logiquement sur ceux qui ont dit le contraire : Grégoire XVI, Pie IX, le Cal Gousset, un grand nombre de prélats, Donoso Cortès, Louis Veuillot[22] et bien d’autres. Nous laissons donc juge le lecteur de la valeur d’une telle appréciation.

Voici donc réfuté cette première accusation ridicule que Mgr Gaume serait profondément ignorant.

 

* * *

Abordons maintenant l’accusation de « relent de traditionalisme et de fidéisme » contre Mgr Gaume de la part de M. l’abbé Belmont, petite phrase regrettable qui vient déprécier un auteur pourtant si clairvoyant. Essayons d’expliquer au lecteur de quoi il s’agit, et d’où vient de la part de M. l’abbé Belmont une telle idée. Nous allons voir que cette accusation est dénuée de fondement, et que ceux qui la soutiennent devraient se demander a contrario s’ils ne sont pas atteints d’une sorte de semi-rationalisme.

 

Le père Hugon résume bien le traditionalisme et le fidéisme :

« Le Traditionalisme enfin est directement atteint. On sait qu’il y a trois degrés dans cette erreur : les fidéistes, avec Huet, prétendent que la raison sans la foi est frappée d’impuissance absolue d’autres avec Bonnetty et Ventura, disent que, si la raison peut arriver à certaines vérités de l’ordre sensible et physique, elle ne saurait s’élever jusqu’à Dieu sans le secours de la foi, au moins de la foi humaine ; enfin Ubaghs et son école requièrent l’institution de la société ; et, en dernière analyse, la révélation. La première forme est hérétique, la seconde forme est pour le moins voisine de l’hérésie, la troisième est pour le moins erronée. »

Or Mgr Gaume dans son livre Du Catholicisme dans l’éducation affirme bien :

« Il est bien vrai, suivant le concile de Trente, que par la chute originelle, la volonté n’a pas été anéantie, mais seulement brisée et affaiblie, fracta et debilitata ; qu’ainsi l’homme peut, sans le secours de la révélation évangélique, connaître quelques vérités, comme il peut, sans la grâce, pratiquer quelque bien dans l’ordre naturel. »

Il n’est donc en rien traditionaliste ou fidéiste. Par contre il dit aussi dans le même ouvrage :

« Mais pour donner à l’homme l’intelligence de lui-même et de la création, quelle doit-être la philosophie ? À cette question il n’y a pas deux réponses possibles : la philosophie doit être fille respectueuse de la foi. En effet, être contingent, l’homme n’a pas plus la vérité en lui que la vie ; il la reçoit ; or, il ne peut la recevoir que par la foi à l’enseignement primordial donné par les parents et qui vient originairement de Dieu. Un certain nombre de vérités premières, indémontrables, admises de confiance sur la parole de l’autorité, telle est donc, dans toutes les hypothèses imaginables, la base nécessaire de toute philosophie. »

 

D’ailleurs, le père Hugon précise bien :

« Le concile du Vatican tout en retenant ces titre par lesquels l’Écriture désigne le vrai Dieu, n’entendait pas définir, cependant, que la raison arrive par ses seules forces à démontrer le dogme complet de la création, que Dieu a tiré toutes choses du néant. »

 

Et cette approche de la philosophie a été reprise par les Pères du concile d’Amiens présidé par le Cal Gousset (il est le père spirituel de Mgr Gaume). N’oublions pas qu’à ce concile l’erreur du Traditionalisme a été également dénoncée, et que vu le nombre de détracteurs qu’avait Mgr Gaume, ils n’auraient pas manqué de le faire accuser de traditionalisme ou de fidéisme. Mais lisons plutôt :

« Quant à la philosophie, (redoublons ici d’attention) il y a sans doute dans les écoles catholiques, plusieurs éléments que les forces de l’esprit humain ont fourni même aux philosophes païens ; mais il y en a d’autres qui ne dérivent pas de cette unique source. Il est très faux de dire que l’enseignement de la philosophie soit chez nous le produit de la seule raison naturelle.

« Car les professeurs ont, dans la doctrine catholique, une règle qui leur indique les thèses à rejeter, et qui les avertit en outre que tel ou tel raisonnement renferme quelque chose de vicieux, par cela même qu’il conduit à des conclusions contraires aux dogmes. De là vient que, dans les écoles catholiques, il y a un parfait et solide accord sur plusieurs vérités démontrées par des arguments philosophiques, vérités sur lesquelles on ne trouve que le doute ou les plus grandes discussions dans les écoles auxquelles la lumière de la foi ne sert pas de flambeau. Ceux donc qui soutiendraient que les leçons de philosophie dans les collèges catholiques doivent être faites de telle sorte qu’on s’y tienne en dehors de la lumière surnaturelle, rêveraient une abstraction purement fictive, ou, si cette abstraction avait réellement lieu, les enseignements philosophiques, perdant l’unité qu’il y a dans nos écoles, s’égareraient à la suite de doctrines diverses et étrangères, et le plus souvent se laisseraient emporter à tout vent de doctrine, comme il arrive dans les écoles qui sont en dehors de notre influence.

« Il y a plusieurs notions sur Dieu et Ses attributs, sur l’origine de l’univers, la Providence, la religion, les vertus, la fin de l’homme, que les philosophes chrétiens, après qu’ils les ont apprises de la révélation, prouvent par leurs arguments, mais qui n’ont pas été inventées par la philosophie humaine.

« (…) La philosophie, étant donc unie de plusieurs manières avec la lumière surnaturelle de la Révélation, étant dirigée, vivifiée et agrandie par elle, on livrerait l’esprit des jeunes gens à une bien dangereuse illusion sur les forces de la Raison, si leur enseignement était conçu de telle sorte dans nos écoles qu’ils pussent attribuer à l’opération de la Raison seule, la droite méthode, le progrès et la perfection de l’enseignement philosophique. Les professeurs doivent donc leur faire comprendre que cette science, à divers égards, n’est pas chez nous celle qu’un philosophe formerait en employant le seul secours de l’esprit humain ; mais celle que la théologie, fondée sur la Révélation, éclaire, régularise et complète ».

 

On le voit, les rapports entre la foi et la philosophie ainsi exposés par le concile d’Amiens sont en tout conformes à ce que Mgr Gaume expose sur cette question. Faudra-t-il accuser également le concile d’Amiens ratifié par Rome de « relent de traditionalisme et de fidéisme » ?

L’éminent Cal Pie s’est magnifiquement exprimé sur cette question, et le lecteur constatera la même doctrine :

« L’histoire est le flambeau de la philosophie. En effet, si la philosophie se sépare des faits, si elle met de côté l’histoire réelle de l’humanité ; elle risque de n’avoir rien de positif et de séjourner éternellement dans la région nuageuse des hypothèses, très voisine de celle des chimères. Or, cela étant, comment peut-il être philosophique d’interdire à la raison du philosophe d’aborder ces grandes questions historiques qui touchent à tous les points culminants des affaires humaines : l’homme a-t-il été laissé, a-t-il même été créé dans l’état de pure nature ? Dieu a-t-il parlé aux hommes ? Dieu est-il venu sur la terre ?… On comprend l’importance immense de ces questions historiques pour le philosophe. »

« Or quoi de plus intime et de plus personnel pour l’humanité que de savoir si son état actuel et réel est ou n’est pas l’état de pure raison et de pure nature ? »

« Et cette même philosophie se retranchera éternellement dans ce qui n’est point, dans ce qui historiquement n’a jamais été un fait réel, mais dans ce qui est simplement une hypothèse et une possibilité, je veux dire, l’état de raison pure ou de pure nature. En vérité, la philosophie peut-elle s’anéantir et s’exterminer plus radicalement elle-même, à moins qu’elle ne prétende qu’il est de son essence de demeurer dans les hypothèses et de n’avoir rien de commun avec les choses positives ? »[23]

« Sans doute la philosophie et la théologie sont des sciences distinctes ; mais, autre chose est la distinction, autre chose est la séparation, l’opposition, l’incompatibilité. La philosophie diffère de la théologie, comme la raison diffère de la foi, comme la nature diffère de la grâce. De même que la foi ne s’impose pas partout à la raison et qu’il y a un certain exercice possible et réel des facultés naturelles sans l’intervention de la grâce, de même, il y a un certain ordre de sciences humaines qui peuvent exister et se développer sans le secours direct de la doctrine révélée. Ce principe n’a rien d’étonnant et il doit être accepté de tout le monde. Mais d’imaginer et de construire un système général, un cours complet de philosophie qui se termine si exclusivement dans la sphère de la nature et si rigoureusement en de- hors de toute relation avec l’ordre surnaturel… : ce procédé quel qu’il soit et quelques autres qualifications qu’on doive lui donner, non seulement n’est pas chrétien, …, mais il n’est même pas philosophique, parce qu’il n’est pas conforme à la raison même naturelle de l’homme. Saint Thomas d’Aquin l’a dit avec un à propos merveilleux : “ la foi, il est vrai, n’est pas un apanage de la nature humaine, mais il est dans la nature humaine que l’âme de l’homme ne répugne pas à l’action intérieure de la grâce, ni à la prédication extérieure de la vérité ; c’est pourquoi, sous ce rapport, l’infidélité est contre nature[24]. ”

« Chaque fois qu’on vous présentera, Messieurs, un livre quelconque de philosophie s’annonçant comme un cours complet de philosophie d’après les seules lumières naturelles, soyez assurés de constater bientôt deux choses : premièrement d’immenses lacunes dans ce cours complet, et secondement des traces manifestes de religion révélée dans ce livre de pure raison. »[25]

 

« Encore une fois rappelons-nous que les actes et décrets du Concile d’Amiens doivent être reconnus exempts d’erreur, puisqu’ils ont été examinés et révisés par Rome, avec toute la maturité et gravité ordinaire en pareille circonstance. Grâce donc aux Pères du concile d’Amiens, la cause des classiques chrétiens est gagnée sans exclusion complète des classiques païens, et sans aucun détriment pour la perfection des études littéraires. Ce résultat est le seul qu’ait ambitionné Mgr Gaume.

 

Outre ces approbations si solennelles et qui émanent de l’autorité la plus haute et la plus compétente en pareille matière, Mgr Gaume a encore reçu toutes celles des intelligences d’élite qui, comme M. Alberdingk Thyim, le grand catholique de Hollande, l’immortel Pugin et le pieux lord Philipps, en Angleterre, le célèbre publiciste baron Moy de Sens, le docteur Reithmeier, en Allemagne, Donoso Cortès, en Espagne, Louis Veuillot et Montalembert, en France, l’abbé Martinet, le R. P. Ventura et tant d’autres l’ont honoré de toutes leurs sympathies et encouragé de tous leurs efforts dans sa lutte contre le paganisme dans l’éducation.

Les paroles de Donoso Cortès sont trop remarquables pour ne pas être citées. Il écrivait â Mgr Gaume, le 25 avril 1851, la lettre suivante :

“Mon cher ami, votre ouvrage, le Ver Rongeur, est excellent. Il n’y a que deux systèmes possibles d’éducation : le chrétien et le païen. La restauration du dernier nous a conduits à l’abîme dans lequel nous sommes, et nous n’en sortirons certainement que par la restauration du premier. Cela veut dire que je suis complètement d’accord avec vous. Il faut que votre ouvrage soit publié et répandu. L’exécution répond au but : vous êtes toujours clair, logique, perspicace, et personne jusqu’ici n’a mis si décidément le doigt dans la plaie”.

Et cette autre lettre qu’écrivait à Mgr Gaume, le 6 décembre 1857, un des plus nobles enfants de l’Angleterre, pourrions-nous la passer sous silence ? Impossible, dut-on nous accuser de citer trop souvent ; voici ce qu’on y lit à propos de La Révolution, récent ouvrage de Mgr Gaume, en douze volumes, qui est le magnifique développement de la thèse soutenue dans le Ver Rongeur, et d’où, M. le Rédacteur du Courrier du Canada a extrait les belles pages qui font connaître les causes de la Révolution française :

“Laissez moi vous dire une parole sur votre œuvre. Ayez courage, mon cher ami. Dieu, je pense, vous a suscité, comme Jean-Baptiste dans l’esprit d’Elie, pour préparer les voies du Seigneur et prêcher la pénitence à toutes les nations chrétiennes qui ont offensé Dieu en beaucoup de choses, mais surtout, et avant tout, par ce péché abominable d’avoir restauré le damnable art païen en couvrant l’Europe des exécrables représentations de la mythologie idolâtrique des païens, et en étudiant plus les ouvrages des auteurs païens que ceux des auteurs illuminés de l’esprit de Dieu et des sublimes vérités de son Église catholique. Votre glorieux ouvrage a levé l’étendard. Déjà ce livre a eu un immense retentissement dans toute la chrétienté, ici, en Angleterre surtout. J’ai entendu un des premiers ministres de la Reine dire en propres termes : Oui, M. Gaume a mille fois raison ; et si le catholicisme est vrai, nul Homme ne peut contester sa thèse.

“Même dans nos grandes universités d’Oxford et de Cambridge, les hommes les plus éminents commencent à voir et à proclamer que vous êtes logique, que vous avez raison, que ce que vous dites est incontestable. Que vous rencontriez une grande opposition, c’est tout naturel. L’orgueil des hommes en est la cause ; ils n’aiment pas à fléchir tout d’un coup. Il est difficile de chasser le démon qui a si longtemps possédé l’esprit public des nations chrétiennes. Et aussi, Dieu, je pense, permet cette opposition afin de faire éclater davantage la logique de votre argument, et afin que tous ceux qui travaillent pour cette grande réforme s’affermissent dans l’humilité et dans le sentiment de leur propre néant”.

“J’ai fait lire La Révolution, dit encore à Mgr Gaume un savant théologien de Rome, à l’un de vos plus chauds adversaires. En me la remettant il m’a dit : La négation n’est plus possible, la démonstration est mathématique”.

 

Ajoutons que les journaux de toutes les parties de l’Europe, les mieux inspirés et qui ont toujours été les organes les plus accrédités de la presse catholique se sont empressés d’annoncer La Révolution de Mgr Gaume, d’en rendre le compte le plus avantageux, et surtout, ils ont conjuré tous les hommes sérieusement préoccupés du mal actuel et des dangers de l’avenir, de méditer cet ouvrage.

En France, le Messager du Midi, la Bretagne, le Messager de l’Ouest, l’Univers, ont consacré à La Révolution plusieurs articles très remarquables. La Sentinelle du Jura s’exprime ainsi :

“Dans notre numéro du 23 novembre, 1857, nous avons annoncé l’ouvrage de Mgr Gaume, LA RÉVOLUTION, recherches historiques sur l’origine et la propagation du mal en Europe, depuis la Renaissance jusqu’à nos jours, en promettant d’en rendre compte.

“Il n’y a pas aujourd’hui deux questions en Europe, il n’y en a qu’une : c’est la question révolutionnaire. L’avenir appartiendra-t-il oui ou non, à la Révolution ? Tout est là. Poser une semblable question, c’est en montrer l’importance. Mais comment l’Europe est-elle arrivée dans ce défilé redoutable, où d’un instant à l’autre elle peut périr ? Cette situation extrême n’est pas l’œuvre d’un jour. Ce qui est, émane de ce qui fut. Nous sommes fils de nos pères, et nous portons le poids de leur héritage. Cela dit assez que l’histoire généalogique du mal actuel est d’une importance capitale.

“Or personne, à notre connaissance, n’a sondé cette question avec plus de pénétration et de profondeur que le célèbre auteur de La Révolution ; personne n’a mis au service d’une raison supérieure une érudition plus abondante et plus sûre. À proprement parler, ce n’est pas Mgr Gaume qui raisonne, c’est l’histoire qui parle. Les raisonnements sont des faits. Ou ne pas lire l’ouvrage, ou se soumettre ; car si rien n’est éloquent comme un chiffre, rien n’est brutal comme un fait : et ici il y en a des milliers. Mais comment ne pas lire ; c’est-à-dire comment rester indifférent à la question révolutionnaire ? Qui donc n’est pas intéressé à connaître l’origine et la nature de cette puissance formidable qui menace également le trône des rois et la borne des champs, le coffre-fort du capitaliste et la caisse d’épargne de l’ouvrier ?

“N’avons-nous pas quelque chose à faire pour remédier au mal ? et si nous avons quelque chose à faire, quel est ce quelque chose ?

“À quiconque veut avoir la réponse à ces questions capitales, nous conseillons la lecture des ouvrages de Mgr Gaume. Nous la conseillons aux personnes qui désirent avoir la clef des événements contemporains, si étranges, si complexes, quelquefois si effrayants et toujours si mystérieux par la rapidité même avec laquelle ils s’accomplissent, aussi bien dans l’ordre politique que dans l’ordre religieux”.

Le plus courageux comme le plus distingué défenseur de la Religion et de l’Église en Piémont, l’Armonia s’exprime ainsi :

“Qui ne connaît Mgr Gaume et l’ouvrage intitulé le Ver rongeur des sociétés modernes, qui a fait tant de bruit en Europe ? Cet illustre écrivain, fortement convaincu que le mal actuel vient de l’élément païen, réintroduit par la Renaissance au sein des sociétés chrétiennes, a entrepris de le prouver dans un ouvrage intitulé La Révolution. Il ne discute pas, il raconte. Les volumes parus sont on ne peut plus graves, riches de faits et de témoignages, et méritent une sérieuse attention. On s’est trop habitué à juger un ouvrage par le nom qu’il porte. Cela n’est ni poli ni équitable. Il faut d’abord lire et ensuite prononcer, en opposant les faits aux faits, les documents aux documents. La patiente Germanie, qui étudie sérieusement, s’est empressée de s’approprier l’ouvrage de Mgr Gaume en le traduisant en allemand. Ce serait rendre un grand service à l’Italie que de le traduire dans notre langue”. Cet article est du 15 novembre 1856.

Le Bien Public de Gand et la Régénération, qui dans la noble Espagne se dévoue au triomphe pratique du catholicisme, parlent de La Révolution absolument dans le même sens que l’Armonia.

Enfin les suffrages les plus illustres et qui portent comme un cachet d’autorité viennent confirmer et corroborer tous les autres. Les princes de l’Église, les prélats n’ont, comme les laïques pieux et éclairés qu’une voix pour préconiser les œuvres de l’immortel Mgr Gaume sur le Paganisme dans l’Éducation et débordé sur les sociétés modernes.

Le 25 janvier 1857, S. E. le cardinal prince Altieri lui adressait de Rome la lettre suivante :

“Monseigneur, j’ai lu avec une inexprimable satisfaction votre excellent ouvrage intitulé La Révolution. J’y ai trouvé le développement des idées fort justes et fort sages qui, appuyées sur le témoignage de faits irrécusables, jettent une immense lumière sur une thèse jusqu’ici très peu considérée, et dont on ne peut cependant contester l’évidence sans se mettre en opposition avec la vérité la plus manifeste, et sans compromettre l’avenir religieux de la société humaine.

“Tous ceux, qui désirent voir éloigner les effrayants dangers qui de toutes parts nous menacent, espèrent que vous continuerez à travailler toujours avec le même zèle pour la défense et la propagation d’une réforme de l’instruction de la jeunesse, réforme éminemment utile à la religion et à la véritable civilisation”.

S. E. le cardinal Gousset, écrivait à Mgr Gaume, en date du 2 juin 1852 :

“N’ayant pas été tout à fait étranger à la publication du Ver rongeur des sociétés modernes, je n’ai pu être insensible aux attaques violentes dont vous avez été l’objet à l’occasion de cet ouvrage. On ne peut vous accuser d’avoir émis des opinions exagérées, absurdes, irrespectueuses envers l’Église et capables de troubler les consciences, etc., sans faire retomber une accusation aussi grave sur ceux qui en approuvant votre livre d’une manière ou d’une autre, comme je l’ai fait moi-même, se seraient rendus solidaires des erreurs qu’on vous reproche. Néanmoins, comme le procès me paraît suffisamment établi, et que vos Lettres à Monseigneur l’Évêque d’Orléans ne laissent rien à désirer pour le fond et pour la forme, je n’entrerai pas dans la discussion ; je préfère mettre la main à l’œuvre en adoptant incessamment, pour les petits séminaires de mon diocèse, le plan d’éducation que vous proposez”[26]. »[27]

 

En conclusion nous tenons à dire que les œuvres de Mgr Gaume continuent leur action évangélisatrice par la diffusion que les éditions Saint-Remi en assurent, Dieu soit loué ! Puisse notre contradicteur lire et nous aider à diffuser les ouvrages d’un si grand, si savant[28] et si brillant défenseur de la foi, mort en odeur de sainteté, il y trouverait une richesse que nous pensons fort utile à la fécondité de son sacerdoce.

 


 

[14] « En quoi serais-je tenu d’estimer une école de pensée dans laquelle vous placez des auteurs très inégaux et disparates ? Je ne me laisse pas impressionner par l’espèce de terrorisme intellectuel qui voudrait que ces auteurs soient tous des maîtres inégalés et que ceux qui ne l’admettent pas sont définitivement des imbéciles ou des libéraux.

Je n’ai pas à me justifier de préférer cent fois un Dom Guéranger ainsi que ceux qui, comme lui, jouissent d’une science et d’un sensus fidei d’une autre envergure, et qui présentent l’avantage de n’avoir aucun relent de fidéisme ni de traditionalisme (ce n’est pas le cas de tous ceux que vous énumérez, loin s’en faut, mais tant pis pour vous, c’est vous qui les amalgamez). Tenez, pour vous amuser, voici l’appréciation de Dom Guéranger sur l’abbé Gaume (c’était à propos de l’affaire des classiques qui a rendu Gaume célèbre) : « L’abbé Gaume est profondément ignorant, vous ne pouvez le suivre en aucune façon » (Histoire du Cardinal Pitra par Dom Cabrol, Paris 1893, p. 193)

Je vous mets au défi d’apporter un seul fait qui puisse vérifier votre paragraphe sur les éditions Saint-Rémi auxquelles je n’ai « de cesse de couper l’herbe sous les pieds ». Décidément, auriez-vous l’esprit binaire : si l’on n’est pas d’accord avec une ligne éditoriale, on est adversaire ? » Abbé Belmont, NDLSE n°269.

[15] Précisons que les éd. Saint-Remi ont publié la quasi-totalité des œuvres de Dom Guéranger. Si donc Mgr Gaume dérange tant M. l’abbé Belmont, il peut au moins recommander notre maison d’édition pour Dom Guéranger.

[16] Il reçut six Brefs pontificaux de papes.

[17] Lettre du 9 novembre 1851.

[18] MGR GAUME, SA THÈSE ET SES DÉFENSEURS, les classiques chrétiens et les classique payens dans l’enseignement, 35 p. 5 €

[19] Après avoir lu ce livre, Pie IX a accordé une indulgence de 50 jours à cet acte de religion : « C’est pourquoi, confiant en la miséricorde du Dieu tout-puissant et en l’autorité de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul, Nous accordons, dans la forme accoutumée de l’Église, à tous et à chacun des fidèles de l’un et de l’autre sexe, toutes les fois qu’au moins contrits de cœur, et en ajoutant l’invocation de la très-sainte Trinité, ils feront le signe de la croix, cinquante jours d’indulgences pour les pénitences qui leur auraient été imposées ou qu’ils devraient pour une autre raison quelconque ; Nous accordons de plus, miséricordieusement dans le Seigneur, que ces indulgences puissent être appliquées, par manière de suffrage, aux âmes des fidèles qui ont quitté ce monde dans la grâce de Dieu. »

[20] Abbé Pelletier, MGR GAUME, SA THÈSE ET SES DÉFENSEURS, les classiques chrétiens et les classique payens dans l’enseignement, 35 p. 5 €

[21] La multitude des références en note dans les ouvrages de Mgr Gaume, montre qu’il avait une parfaite connaissance de la Sainte Écriture, des Pères de l’Église, des auteurs païens, de Saint Thomas d’Aquin et de Saint Alphonse de Liguori. De plus il maîtrisait parfaitement le latin, l’italien et l’espagnol et connaissait le grec. On aimerait bien avoir des prêtres aussi savant, que certains osent qualifier de profondément ignorant !

[22] L’épouse de Louis Veuillot était la nièce de Mgr Gaume.

[23] Œuvres complètes du Cardinal Pie, T. III, p. 158. Disponibles aux ESR.

[24] Somme Théologique II, IIae, q. 10, art. 1, ad 1

[25] Ibidem, page 162-163

[26] Les Lettres de Mgr Gaume à Mgr Dupanloup sont véritablement admirables pour le fond et pour la forme. Elles sont peut être plus concluantes encore que le Ver Rongeur. Nous exhortons fort tous ceux qui s’intéressent à la question à se procurer ce charmant petit volume.

[27] Abbé Pelletier : MGR GAUME, SA THÈSE ET SES DÉFENSEURS, les classiques chrétiens et les classique payens dans l’enseignement, 35 p. 5 €

[28] Notons par exemple que Mgr Gaume maîtrisait parfaitement le latin, connaissait le grec, et maîtrisait l’italien et l’espagnol comme l’atteste ses ouvrages (Horloge de la Passion de St Alphonse traduit de l’italien au français, sa correspondance en espagnol avec Donoso Cortès).


 

À suivre

Written by Cave Ne Cadas

août 17th, 2012 at 11:09 pm

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MYSTERIUM FIDEI, le mystère de notre foi

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La Fête-Dieu ou Fête du saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ

Pour la Fête Dieu, nous vous proposons le dernier sermon de M. l’abbé Michel Marchiset, donné hier dans sa chapelle du prieuré saint Pierre et saint Paul à Mouthier Haute-Pierre (Doubs ). Les accentuations sont de nous.

 

Solennité de la fête du Très Saint-Sacrement

 

Mes bien chers frères,

Le Concile de Trente demandait de célébrer tous les ans une Fête particulière pour rendre tous les honneurs qui sont du au très Saint-Sacrement. Cette Fête est célébrée le jeudi qui suit le premier dimanche après la Pentecôte, après la Fête de la sainte Trinité par conséquent, et c’est la solennité de cette Fête que nous célébrons aujourd’hui.

C’est donc avec une vénération singulière à cet adorable Sacrement que nous nous retrouvons en ce dimanche, et il nous est toujours bon de nous instruire sur la sainte Eucharistie.

Tout d’abord rappelons-nous que la sainte Eucharistie était déjà préfigurée dans l’Ancien Testament. Dans le Livre de la Genèse, Jacob apprenant par une révélation de Dieu que le lieu où il se trouvait, Éphrata, serait un jour celui de la naissance du Messie, changea le nom d’Éphrata en celui de Bethléem qui, vous le savez, signifie la maison du pain. Il prédit par conséquent que le Messie qui devait y naître, serait la nourriture de nos âmes. Et Notre Seigneur réalisant les prophéties, affirme qu’Il est le Pain vivant descendu du Ciel.

Dans la Séquence du Lauda Sion, saint Thomas d’Aquin fait ressortir ces préfigurations de la sainte Eucharistie. Nous venons en effet de chanter : Quand Isaac était immolé, quand l’agneau pascal était immolé, quand la manne était donnée à nos pères.

Notre Seigneur nous a alors enseigné que la sainte Eucharistie n’était pas comme cette manne donnée dans le désert, mais que celui qui communierait, qui recevrait ce sacrement, contenant son Corps, son Sang, son Âme et sa Divinité, posséderait le germe de la vie éternelle en lui et qu’Il le ressusciterait au dernier jour. C’est tout le discours de Notre Seigneur sur le Pain de vie, au chapitre VI en saint Jean, et c’est le murmure des juifs qui a amené Notre Seigneur à toutes ces affirmations. Je suis le Pain vivant descendu du Ciel. Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède en lui la vie éternelle et moi je le ressusciterai au dernier jour.

La sainte Eucharistie est donc à considérer comme sacrement, mes bien chers frères, mais aussi comme sacrifice et communion. C’est ce que nous regardons déjà depuis plusieurs années, lors du Jeudi-Saint.

La sainte Eucharistie est donc le mysterium fidei, le mystère de notre foi et le test de notre foi. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans les réformes liturgiques, ces deux mots : mysterium fidei, ont précisément été retirés des paroles de la consécration. Il faut relire comment, dans La documentation catholique, ce retrait a été annoncé ! L’annonce est vraiment laconique, alors que ces deux mots qui nous viennent des Apôtres, sont là pour préciser que c’est par ces paroles de la consécration que s’opère la transsubstantiation, que repose donc toute notre foi en la présence réelle de Notre Seigneur.

Cette foi en la sainte Eucharistie est par conséquent le test de notre foi, et c’est à cela que l’on reconnaît les véritables catholiques. Comment nos contemporains, mes bien chers frères, finissent-ils en effet par parler de la sainte Eucharistie, de la communion, de la messe ? Avec toutes ces réformes, et depuis la communion dans la main, pratique tant désirée de la Franc-Maçonnerie, nos contemporains parlent « de prendre l’hostie », et la messe est devenue le mémorial du dernier repas du Christ ; la communion est devenue signe de partage. Voilà ce que nous entendons de la part de ceux qui ont suivis toutes ces réformes, et de la part de ceux qui n’ont jamais eu malheureusement le véritable enseignement, ainsi que la pratique religieuse évidemment, sur la sainte Eucharistie, le saint sacrifice de la messe et la communion.

Aussi, puisque je vous ai déjà plusieurs fois cité les principaux passages de l’ouvrage de l’abbé Buathier qui traite de ces trois aspects de la sainte eucharistie en se référant comme il se doit au Concile de Trente, je reprends quelques instants cet enseignement qui souligne parfaitement ce que toute l’Église croit, ce que le fidèle catholique croit, ce que nous croyons et affirmons.

Comme pour tous les mystères de notre sainte religion, les raisonnements de notre esprit ne peuvent évidemment pas totalement expliquer ce mystère de la transsubstantiation. Mais c’est précisément la foi qui nous y soumet, qui fait que nous croyons que Notre Seigneur Jésus-Christ est réellement présent, substantiellement présent. Sur l’autel, par conséquent, il y a bien conversion totale du pain au Corps de Notre Seigneur, et du vin au Sang de Notre Seigneur. Bossuet dit qu’ « iI faut croire en Jésus-Christ qui donne sa chair à manger, comme il faut croire à Jésus-Christ descendu du ciel et revêtu de cette chair ». C’est du reste ce que saint Thomas d’Aquin rappelle dans la Séquence : « Ce que tu ne comprends pas, ce que tu ne vois pas, une foi courageuse l’appuie, sans s’arrêter à l’ordre naturel ».

Et ce que Notre Seigneur a voulu par cette conversion, par ce miracle de la transsubstantiation, est double. Il a voulu être immolé et puis se donner en nourriture à nos âmes, afin que nous puissions aussi nous unir plus étroitement à Lui.

Il a voulu être immolé en se faisant sacrement et en acceptant le mode, les conditions et les conséquences de l’existence sacramentelle. L’Eucharistie est donc un sacrifice car Notre Seigneur est présent en victime avant d’être nourriture. Et quoique Notre Seigneur reste glorieux, il est véritablement immolé. « Oui, dit le concile de Trente, il s’immole d’une manière non sanglante ce même Christ qui s’est offert une fois d’une manière sanglante sur l’autel du calvaire ».

Ainsi, comme l’expliquent les cardinaux De Lugo et Franzelin, cités par l’abbé Buathier, ce que le Concile de Trente affirmait déjà par les termes de « sacrifice propre », Notre Seigneur Jésus-Christ est réellement immolé par cela seul qu’il se fait sacrement et qu’il accepte le mode, les conditions et les conséquences de l’existence sacramentelle. Le Concile de Trente affirmait cela contre l’hérésie protestante. La Messe est un véritable sacrifice, car les Pères de ce saint Concile savaient bien qu’un pareil état suffirait à faire de la Messe un sacrifice véritable.

L’Eucharistie est donc un sacrifice, ce que les réformes liturgiques et les différentes pratiques conciliaires ont réussi à faire oublier, et elle est aussi, en tant que sacrement, nourriture de nos âmes. C’est la raison pour laquelle il nous faut encore une fois, mes bien chers frères, regarder les effets de la réception de la sainte Eucharistie. Notre catéchisme nous dit que l’Eucharistie nous unit étroitement à Notre Seigneur Jésus-Christ, l’auteur de la grâce, qu’elle augmente la vie de la grâce, qu’elle affaiblit les mauvais penchants, nos passions, et puis que la réception de la sainte Eucharistie est un gage de la vie éternelle ainsi qu’un ferment d’union des fidèles à Notre Seigneur.

Tous ces effets doivent nous empêcher de tomber dans la routine de la réception de la sainte Eucharistie, et doivent au contraire nous permettre d’augmenter dans notre union spirituelle à Notre Seigneur ainsi que dans notre charité envers Lui et envers le prochain.

Et cette communion à Notre Seigneur, cette union sacramentelle par conséquent, Notre Seigneur a voulu qu’elle se fasse à l’aide de la matière du sacrement de l’Eucharistie, c’est-à-dire qu’en prenant du pain et du vin, Notre Seigneur a voulu signifier qu’il opère dans nos âmes tous les effets que produisent ces aliments dans le corps. Il y a donc cette restauration de l’âme qui est remplie de grâce, et puis cette restauration du corps qui reçoit ainsi le gage de sa gloire future.

C’est pourquoi, par sa présence et par la vertu de ce Sacrement, Notre Seigneur soutient, conserve, augmente en nous la vie spirituelle, nous fortifie, réjouit notre cœur, de même qu’Il modère la concupiscence. C’est le grand moyen, sans négliger la prière et la fuite des occasions de pécher, d’apaiser les passions, car l’un des effets de la communion, c’est précisément d’affaiblir les mauvais penchants.

Et puis comme notre catéchisme l’énumère, un autre effet de la réception de la sainte Eucharistie, c’est de nous être un gage, c’est-à-dire une promesse de la vie éternelle. Notre Seigneur le dit : « Celui qui mange ma Chair et boit mon Sang, possède en lui la vie éternelle, et Moi je le ressusciterai au dernier jour ».

Enfin, le dernier effet de la communion, c’est que, comme le pain est fait de plusieurs grains de froment, moulus et pétris ensemble ; et le vin de plusieurs grains de raisin foulés dans le pressoir, celui qui communie doit non seulement être uni à Notre Seigneur, mais être unis à quelques autres fidèles. C’est pour cette raison qu’il est appelé communion, c’est-à-dire union mutuelle de plusieurs entre eux avec Notre Seigneur Jésus-Christ. Saint Augustin appelait l’Eucharistie le Sacrement de la piété, le signe de l’unité, le lien de la charité. C’est lui qui parle des espèces du sacrement en tant que formé d’éléments multiples qui se sont fusionnés dans un composé harmonieux, de même que l’Église est un tout formé d’une multitude de membres qui ne doivent être qu’un seul corps et qu’une seule âme.

Alors, n’oublions pas, mes bien chers frères, que la Messe et que la réception de ce Sacrement, a ce but de nous unir à Notre Seigneur et d’être unis entre nous et que nous devons avoir ce désir d’être des victimes avec Lui. Saint Thomas après saint Augustin enseigne que le sacrifice extérieur est le signe du sacrifice intérieur par lequel chacun doit s’offrir lui-même à Dieu.

C’est la raison pour laquelle à la messe, l’on doit veiller au recueillement, à ce qu’il y ait toutes les conditions pour permettre cette oblation de soi-même. Et puis « communier c’est se nourrir de la croix », disaient les Pères de l’Église. C’est donc la communion qui donne son achèvement suprême au sacrifice.

C’est ainsi, mes bien chers frères, que l’Église s’est bâtie et s’est développée. Elle est sortie du côté de Notre Seigneur ouvert par la lance, ce qui va nous être rappelé par la Fête du Sacré-Cœur et elle a grandit et s’est donc fortifiée par le saint Sacrifice de la Messe ; les ennemis du Christ le savent bien et c’est pourquoi ils ont porté leurs atteintes pour invalider la messe et les sacrements. Et en tout premier lieu l’épiscopat, puisque c’est de l’épiscopat que dépend le sacerdoce.

Aussi, puisque vous bénéficiez ici de ces véritables sacrements, du saint sacrifice de la Messe, et puisque vous venez de réentendre ces considérations sur la sainte Eucharistie, mystère de notre foi, test de notre foi, ainsi que le rappel des effets de la réception de cet admirable Sacrement, puissiez-vous vous unir plus étroitement à Notre Seigneur et Lui manifester tous les honneurs que l’Église nous recommande aujourd’hui dans cet admirable Sacrement.

Puissions-nous également manifester à la très sainte Vierge Marie, toute notre reconnaissance, ce que nous ferons tout particulièrement cet après-midi, devant le Saint-Sacrement, car c’est bien grâce à Notre-Dame que nous avons Notre Seigneur Jésus-Christ, réellement présent dans la sainte Eucharistie.

Ainsi soit-il.

Abbé Michel Marchiset

 

Fidem servavi

L’enseignement hebdomadaire pour le maintien de la foi

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Dans l’Église en ordre, la Fête Dieu était célébrée avec ferveur par les paroissiens de toute les contrées jusqu’au moindre village.

De la notion du respect dû aux clercs

with one comment

D’un correspondant du site catholique traditionnel américain TRADITIO :

The Traditional Roman Catholic Network
« The Independent Voice of Traditional Roman Catholicism since 1994 »
And Virtual Encyclopædia of Traditional Catholicism

The First Site on the Internet for Traditional Roman Catholics
More Readers than Any Other Traditional Roman Catholic Site*

 

Un lecteur écrit : « Je ne suis pas d’accord avec la voie suivie, paraît-il, par l’homme que vous appelez « Bernie »

De : Nick

Chers Pères de TRADITIO,

Je lis régulièrement les informations du site TRADITIO pour me tenir au courant de la situation de la néo-FSSPX. Bien que ce ne soit pas toujours le cas, il est fréquent que les commentaires sur Fellay ou d’autres personnes prenant part aux « négociations » ne respectent pas l’office ecclésiastique qu’occupent les intéressés. Je remarque, en particulier, l’usage fait par TRADITIO du diminutif  familier « Bernie ».

Je ne suis actuellement favorable à aucun « accord » qui mettrait l’Église catholique traditionnelle en danger, et c’est pourquoi je ne suis pas d’accord avec la voie suivie, paraît-il, par l’homme que vous appelez « Bernie » [Fellay]. Cependant, nous ne servons pas notre cause en manquant de respect aux personnes en question.

 

La réponse des Pères de TRADITIO :

Franchement, nous trouvons amusante la fixation de nombreux fidèles de la néo-FSSPX sur notre emploi du diminutif familier « Bernie » plutôt que sur les actions par lesquelles ledit Bernie se rend complice d’une braderie de la Foi catholique traditionnelle. Il est typique de notre époque que l’on prenne garde surtout aux mots en ignorant les actes, qui ont cependant beaucoup plus d’importance. L’emploi que nous faisons de ce diminutif a contribué à secouer la servilité des fidèles de la néo-FSSPX, leur permettant ainsi de réfléchir aux actions de Fellay. C’est bien là ce qui compte.

La familiarité en question a pour effet d’éliminer la couche de vernis derrière laquelle Fellay et Benoît-Ratzinger s’efforcent de masquer leurs dessins et actes néfastes. Trop de leurs suiveurs les considèrent comme des dieux ou presque, grâce à quoi ces deux hommes se permettent de mal agir à l’abri de toute opposition. Fellay peut bien parler en long et en large de la Vierge Marie, il est très loin d’en avoir l’humilité. Monseigneur Lefebvre, lui, ne prenait pas d’aussi grands airs. Il possédait cette confiance intérieure qui fait tant défaut à Fellay « le Comptable », lequel ne peut compter que sur l’« adoration » inconditionnelle de ses suiveurs.

Conformément aux meilleurs exemples catholiques, nous autres Pères de TRADITIO croyons fermement que le respect se mérite et qu’il n’est pas automatiquement dû à quelqu’un au motif que celui-ci occupe un poste élevé. Comme l’enseigne saint Thomas d’Aquin, Docteur universel de l’Église : « Si la foi est en danger, tout fidèle doit réprimander son évêque, y compris en public. »

Les actions corrompues et anticatholiques ne sauraient se dissimuler sous le vernis d’un quelconque office supposé. Tout catholique traditionaliste qui les accepte commet un péché de complicité avec la corruption, ainsi que l’enseignent les principes de la théologie morale catholique. Ce n’est pas nous qui « manquons de respect » à quelqu’un. C’est ce quelqu’un qui s’est manqué de respect à lui-même par sa conduite déshonorante, et c’est à bon droit qu’il est critiqué publiquement pour ses actions publiques. Chaque fois que des catholiques ont omis de rappeler à des « prélats » les impératifs de la morale catholique, comme on a déjà pu le voir avec le « Pape pédophile » Benoît-Ratzinger et l’« évêque-Judas » Bernie Fellay, leur complicité n’a fait qu’accentuer le caractère immoral de la situation.

Nous sommes confortés dans cette attitude par le grand Docteur occidental de l’Église que fut saint Augustin ; il prêta serment sur la place publique contre le pape hérétique de son époque et proclama : « Mieux vaut que la vérité soit connue que le scandale caché ». Tel est le catholicisme viril et résolu que nous faisons nôtre, à la différence de ce catholicisme efféminé dont Fellay et Ratzinger donnent le spectacle. Saint Thomas More offre un autre exemple de saint ayant usé de la satire, du sarcasme et même du ridicule pour critiquer les prélats dévoyés de son époque.

Qu’y a-t-il de plus vil et de plus méprisable que de dissimuler la sodomie, la pédophilie, l’hérésie et l’apostasie sous le voile hypocrite d’un habit blanc ou pourpre ? Telle n’est certainement pas la morale enseignée par Notre Seigneur Jésus-Christ. Lui-même nous a donné l’exemple en condamnant les faux « prélats » de Son temps dans les termes les plus vifs qui soient, les traitant d’hypocrites, de « sépulcres blanchis, qui au dehors paraissent beaux, mais au dedans sont pleins d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture » (Matthieu, 23 : 27-28).

Il faut voir les choses en face : Fellay et Ratzinger essaient d’intimider quiconque critiquerait leurs vils agissements contre la vraie Foi catholique et de faire d’eux leurs esclaves béni-oui-oui. Ne soyez pas stupide et n’allez dans le sens des ambitions corrompues de ces « prélats ». Tout au contraire, soyez un catholique viril, et non pas efféminé !

 


http://www.traditio.com/comment/com1205.htm

 

A Reader Writes: « I Do Not Agree with the Purported Path Being Followed by the Man You Call ‘Bernie' »

From: Nick

Dear TRADITIO Fathers:

I have been reading the TRADITIO Network to obtain the most timely information about the Neo-SSPX situation. Although not always the case, there are many instances where comments are made about Fellay or other persons involved in the « negotiations » that do not give due respect for the Church offices held. I note in particularl TRADITIO’s use of the name « Bernie. »

I do not support any « deal » at this time that would place the traditional Catholic Church in danger and, accordingly, I do not agree with the purported path being followed by the man you call « Bernie » [Fellay]. However, we do no service to our cause by casting disrespect on the people involved.

The TRADITIO Fathers Reply.

Frankly, we find it amusing that so many Neo-SSPXers fixate on our use of the familiar name « Bernie » rather than on Bernie’s actions in conniving to sell out the traditional Catholic Faith. This seems to be typical of our age: that people get hung up with words, but ignore actions, which are far more important. Our use of this term has helped to shake Neo-SSPXers out of their servility to think about what Fellay is doing. That is the point.

The familiar form of address rips off the hypocritical veneer, behind which Fellay and Benedict-Ratzinger try to hide their evil designs and deeds. Too many of their followers look at them as virtual gods. In that way they can get away with evil without challenge. For all Fellay talks about the Virgin Mary, he doesn’t emulate her humility. Archbishop Lefebvre didn’t put on airs. He had the internal confidence that Fellay « The Bookkeeper » lacks and has to get by being « worshipped » without challenge by his followers.

In accordance with the best Catholic examples, we TRADITIO Fathers believe firmly that respect is earned. Respect is not automatic simply because someone holds a high office. As St. Thomas Aquinas, the Church’s Universal Doctor, teaches: « If the faith is endangered, a subject ought to rebuke his prelate even publicly. »

Corrupt, anti-Catholic actions cannot be cloaked under the veneer of some purported office. If a traditional Catholic buys into this, he becomes an sinful accomplice to the corruption under the principles of Catholic Moral Theology. We do not « cast disrespect » on anyone. It is the individual who has cast disrespect upon himself by his disreputable conduct, and such an individual is properly criticized, publicly, for his public actions. When Catholics have failed to hold « prelates » to Catholic morality, as generally they have failed to do in the case of the « Paedophile Pope, » Benedict-Ratzinger, and the « Judas » bishop, Bernie Fellay, the immoral situation has simply been made worse by the complicity.

In this approach we are supported by the Great Western Doctor of the Church, St. Augustine, who took an oath in the public square against the heretic pope of his time and proclaimed: « It is better that the truth be known than that scandal be covered up. » That is the committed and gutsy Catholicism that we follow, not the pansy version exemplified by Fellay and Ratzinger. St. Thomas More is another example of a Saint who used satire, sarcasm, and even ridicule to criticize the errant prelates of their time.

What is more vile and despicable than to hide sodomy, paedophilia, heresy, and apostasy perpetrated under the veil of some superficial white or purple garment? This is certainly not the morality that Our Lord Jesus Christ taught. He Himself gave us our example by condemning the false « prelates » of His time in the strongest possible terms, calling them hypocrites, « whited sepulchres, which outwardly appear to men beautiful but within are full of dead men’s bones and of all filthiness » (Matthew 23:27-28/DRV).

Let’s face it. Fellay and Ratzinger are trying to intimidate anyone who would criticize their vile actions against the true Catholic Faith by turning them into mere slavish « yes » men for themselves. Don’t you be a fool and play the slave to the corrupt ambitions of these « prelates. » Instead, stand up and be a gutsy Catholic, not a pansy!