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Un autre Sermon de saint Jean Chrysostome sur la Nativité

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Saint Jean Chrysostome

 

saint Jean Chrysostome

Homélie pour la Nativité de
Notre-Seigneur Jésus-Christ
.

 

Tome VI, p. 579-585

 

AVERTISSEMENT.

L’homélie sur la fête de Noël est citée par saint Cyrille d’Alexandrie sous le nom de saint Chrysostome et une partie de ce que ce Père en a cité se trouve dans les actes du concile d’Éphèse. Malgré un témoignage si positif ; on a cependant émis des doutes sur l’authenticité de cette homélie telle que nous l’avons. Ces doutes se fondent sur ce que saint Cyrille, dans sa citation, rapporte à la sainte Vierge les paroles suivantes : Elle embrasse le Soleil de justice qui ne peut être circonscrit, tandis que dans notre homélie, elles sont dites de Béthléem. C’est sur ce fondement que Tillemont ne veut voir dans le morceau suivant qu’un centon formé de passages empruntés tantôt à saint Chrysostome, tantôt à saint Athanase : quoi qu’il en soit, homélie ou centon, la pièce est fort belle et ne manque ni de suite dans les idées, ni d’unité dans le style.

 

Je vois un mystère nouveau et admirable ; la voix des pasteurs retentir à mes oreilles, non semblable aux accords agrestes du chalumeau, mais au chant des hymnes célestes. Les anges chantent, les archanges font entendre leurs accords et les chérubins leurs cantiques, les séraphins rendent gloire, tous célèbrent cette fête dans laquelle ils contemplent un Dieu sur la terre et l’homme dans les cieux, Celui qui était élevé abaissé par son incarnation et celui qui était abaissé élevé par la miséricorde. Aujourd’hui, Béthléem imite le ciel : les astres de son firmament sont les anges qui chantent leurs cantiques ; son soleil est le Soleil de justice qui ne peut être circonscrit. Et ne cherchez pas comment cela a pu être accompli, car lorsque Dieu veut, l’ordre de la nature doit céder. Il a voulu, il a eu la puissance, il est descendu, il nous a sauvés : la volonté de Dieu s’accomplit en toutes choses.

Aujourd’hui, Celui qui est prend naissance, Celui qui est devient ce qu’il n’était pas. Étant Dieu, il devient homme et n’abandonne pas sa divinité. Car, ce n’est point par la perte de sa divinité qu’il devient homme, ni par addition de qualité que d’homme il devient Dieu ; mais il est le Verbe, et, sa nature demeurant la même à cause de son immutabilité, il s’est fait chair. Mais lorsqu’il vint à naître, les Juifs refusaient de croire à cet enfantement merveilleux, les pharisiens interprétaient à contre-sens les livres sacrés, les scribes enseignaient le contraire de la loi, enfin Hérode cherchait Celui qui venait de naître non pour l’honorer, mais pour le faire périr.

Dans ce jour, tout ce qu’ils voyaient était contradiction. « Car, » ainsi que le dit le Psalmiste, « ces choses n’ont point été cachées à leurs fils dans la génération suivante. » (Ps. LXXVII, 4.) Des rois arrivèrent, et c’était pour vénérer le roi céleste qui venait sur la terre, non pas accompagne des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des puissances, des vertus ; mais parcourant un chemin nouveau, une route non frayée, et sortant d’un sein immaculé. Cependant, il n’abandonnait pas le gouvernement des légions célestes, ni ne se dépouillait de sa divinité lorsqu’il se faisait homme : les rois vinrent l’adorer comme le céleste Roi de gloire ; les soldats le reconnurent comme le Seigneur des armées ; les femmes le vénérèrent comme né de la femme et changeant les douleurs de la femme en joie et en allégresse ; les vierges le proclamèrent comme fils d’une vierge. admirant que Celui qui a fait le lait et les mamelles et qui a donné au sein de la femme d’être une source intarissable reçoive d’une mère vierge la nourriture des petits enfants ; les enfants l’ont vu devenir petit enfant afin que de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle sortît fa louange parfaite ; les enfants ont vu en lui l’enfant qui s’est servi de la fureur d’Hérode pour donner à leur âge la gloire du martyre ; les hommes faits ont reconnu Celui qui s’est fait homme pour apporter remède aux maux de ceux qui vivaient sous le joug ; pour les pasteurs, il est le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis ; pour les prêtres, il est le souverain Pontife selon l’ordre de Melchisédech (Hébr. VII, 17 ; Ps. CIX, 4) ; pour les esclaves, il est Celui qui a pris la forme de l’esclave afin de nous racheter de la servitude (Philip. II, 7) ; pour les pécheurs, il est Celui qui a tiré de leurs filets ceux qui ont été envoyés pour ramener les hommes ; pour les publicains, Celui qui a choisi un publicain afin d’en faire un évangéliste ; pour les femmes de mauvaise vie, Celui dont les pieds furent arrosés (les larmes d’une courtisane ; et, pour tout dire en un mot, les pécheurs ont pu voir en lui l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde ; les mages lui ont fourni sa garde royale, les pasteurs font environné de leurs bénédictions, les publicains ont annoncé son Évangile, les courtisanes l’ont embaumé avec la myrrhe, la Samaritaine a eu soif de la source de vie qu’il fait connaître, et la Chananéenne a montré envers lui sa foi inébranlable.

Puisque tous se réjouissent ainsi, je veux aussi me réjouir, je veux former des chœurs, je veux célébrer une fête, mais je formerai des chœurs non en pinçant la cithare, non en agitant le thyrse, non en m’accompagnant de la flûte, noir en portant des torches allumées, je veux, ni lieu d’instruments de musique, porter les langes du Christ. Ces langes sont mon espérance, ma vie, mon salut ; ils me tiennent lieu de flûte et de cithare. C’est pourquoi je m’avance en les portant, afin que leur puissance soit toute la force de mon discours et que je puisse, dire avec fange : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! » avec les pasteurs « Et la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » (Luc, II, 14.)

Aujourd’hui, celui qui est né du Père d’une manière ineffable est né de la Vierge, pour l’amour de moi, d’une manière inexplicable et merveilleuse. II est né du Père, avant les siècles, conformément aux lois de sa nature et Celui qui l’a engendré le sait ; aujourd’hui, il est né en dehors des lois de la nature et la grâce de l’Esprit-Saint en est témoin. Sa génération céleste est légitime et la génération terrestre ne l’est pas moins ; il est vraiment le Dieu engendré de Dieu, il est vraiment homme né d’une vierge. Dans le ciel, il est le seul Fils unique d’un seul ; sur la terre, il est le seul Fils unique d’une vierge seule. De même que dans sa génération céleste il serait impie de lui chercher une mère, de même dans sa génération terrestre ce serait un blasphème de lui chercher un père. Le Père a engendré sans écoulement de sa substance et la Vierge a enfanté sans connaître la corruption. Dieu n’a point souffert d’écoulement de sa substance, car il a engendré comme il convenait à un Dieu, et la Vierge n’a point connu la corruption lorsqu’elle enfantait, parce qu’elle a enfanté spirituellement (1). D’où il suit que sa génération céleste ne peut être expliquée par des paroles humaines et que sa venue dans le temps ne peut être le sujet de nos investigations. Je sais qu’une vierge a enfanté aujourd’hui, et je crois qu’un Dieu a engendré en dehors du temps ; mais j’ai appris que le mode de cette génération doit être honoré par le silence et ne peut être l’objet d’une curiosité indiscrète. Car, lorsqu’il s’agit de Dieu, il ne faut pas nous arrêter à la nature des choses, mais croire à la puissance de Celui qui agit. C’est une loi de la nature qu’une femme mette au monde après qu’elle a contracté mariage ; mais si une vierge, sans connaître le mariage, enfante et ensuite reste vierge, ceci est au-dessus de la nature. Que l’on scrute ce qui est conforme à la nature, j’y consens ; mais on doit honorer par le silence ce qui est au-dessus de la nature, non parce qu’il faut s’éloigner de tels sujets, mais parce qu’ils sont ineffables et dignes d’être célébrés autrement que par des paroles.

Mais accordez-moi, je vous prie, la permission de mettre fin à ce discours dès l’exorde. Car, je redoute de m’élever jusqu’à cette région des choses dont il n’est point permis de parler et je ne sais de quel côté ni comment diriger le gouvernail. Que dirai-je, ou comment pourrai-je parler ? Je vois une mère qui enfante, je contemple un fils mis au monde, mais j’ignore le mode de cette génération lorsque Dieu veut, la nature est vaincue, les limites de l’ordre établi dans la nature sont franchies. Rien n’arrive ici selon l’ordre de la nature, mais un miracle s’accomplit au-dessus des lois de la nature. La nature n’a point agi ; la volonté du Seigneur a opéré. Ô grâce qui surpasse tout langage ! Le Fils unique, qui est avant tous les siècles, que le sens du toucher ne peut atteindre, qui est simple, incorporel, a revêtu un corps mortel et visible comme le mien ! Et pour quelle cause, sinon pour que son aspect nous enseigne, et qu’ainsi enseignés il nous conduise par la main vers les choses invisibles ? Parce que les hommes ont plus de confiance dans ce que leurs yeux voient que dans ce que leurs oreilles entendent, et qu’ils hésitent lorsqu’ils n’ont point vu, il a voulu parler aux yeux par le moyen de son corps, de telle sorte que tout prétexte fût enlevé à l’incrédulité. Il naît d’une vierge qui ne connaît point ce qui a rapport à la génération, qui n’a point coopéré à ce qui s’accomplit, qui n’a eu rien contribué à ce qui est fait, mais qui est un simple instrument de la puissance ineffable et qui sait seulement ce qu’elle a appris de Gabriel en l’interrogeant. « Comment cela se peut-il faire puisque je ne connais point d’homme ? » (Luc, I, 34.) Ce à quoi il répond ; Voulez-vous le savoir ? « L’Esprit-Saint descendra en vous et la puissance du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » (Ibid. 35.) Or, comment le Seigneur était-il avec elle et, bientôt après, recevant d’elle la naissance ? De même que l’artisan qui trouve une matière très-belle et parfaitement disposée en fabrique un vase merveilleux, ainsi le Christ trouvant le corps saint et l’âme de la Vierge se construit un temple animé, il forme dans son sein l’homme tel qu’il l’a résolu, se revêt de cette nature humaine et se manifeste aujourd’hui, n’ayant point rougi de la difformité de notre nature. Ce n’a pas été pour lui un opprobre de se revêtir de son propre ouvrage, et c’était pour son œuvre une gloire éclatante que celle de devenir le vêtement de Celui qui l’avait faite. De même que dans la première formation il était impossible que l’homme existât avant que la terre dont il fut fait vînt entre les mains de son Créateur, ainsi il était impossible que le corps corruptible de l’homme reçût une nouvelle nature avant que Celui qui l’avait faite s’en fût revêtu.

Que dirai-je donc ou comment parlerai-je ? (2) Ce mystère me frappe d’admiration. L’Ancien des jours devient enfant ; Celui qui est assis sur un trône élevé et inaccessible repose dans la crèche ; Celui que le sens du toucher ne peut connaître, qui est simple, sans composition de parties et qui n’a point de corps est touché par des mains humaines ; Celui qui brise les liens de l’iniquité est retenu dans les liens que forment ses langes, parce qu’il l’a ainsi voulu. Il a résolu de changer l’ignominie en honneur, l’infamie en un titre de gloire, l’outrage extrême en une preuve de vertu. C’est pourquoi il a pris mon corps, afin que je puisse porter en moi son Verbe ; et prenant ma chair, il m’a donné son Esprit, afin que donnant et recevant il puisse amasser pour moi un trésor de vie. Il a pris ma chair, afin de me sanctifier ; il m’a donné son Esprit afin de me sauver.

Mais, encore une fois, que dirai-je ou comment parlerai-je ? « Voici qu’une vierge concevra. » (Isaïe, VII, 14.) Ce n’est plus désormais une chose à venir dont il est parlé ; c’est une chose accomplie qui est proposée à notre admiration. C’est parmi les Juifs que s’est accomplie cette parole prononce au milieu d’eux ; c’est parmi nous qu’elle est crue, parmi nous qui n’en avions pas même entendu le premier mot : « Voici que la vierge concevra. » (Isaïe, VII, I4.) La synagogue gardait la promesse écrite ; l’Église possède l’objet de la promesse. L’une a possédé le livre et l’autre les trésors promis par ce livre ; l’une a su teindre la laine et l’autre a revêtu la robe de pourpre qui en a été tissue. La Judée l’a enfanté ; la terre entière l’a reçu. La synagogue l’a nourri et élevé ; l’Église le possède et recueille les fruits de sa présence. Celle-là eut le cep de la vigne et près de moi sont les fruits mûrs de la vérité. Celle-là a vendangé les raisins ; mais les nations boivent le breuvage mystique. Celle-là a semé le grain du froment dans la Judée ; mais les nations ont moissonné avec la faux la moisson de la foi. Les nations ont recueilli avec piété la rose, tandis que l’épine de l’incrédulité est demeurée parmi les Juifs. Le petit s’est envolé et les insensés restent assis auprès du nid demeuré vide. Les Juifs interprètent la lettre, qui est semblable à la feuille, et les nations recueillent le fruit de l’Esprit.

« La Vierge concevra. » Dis-moi donc le reste, ô juif ! dis-moi quel est Celui qu’elle a enfanté ? Aie en moi autant de confiance qu’en Hérode. Mais tu manques de confiance, et je sais pourquoi. Tu ne penses qu’à tendre des embûches. Tu l’as dit à Hérode afin qu’il le mît à mort ; tu ne me le dis pas, pour que je ne puisse l’adorer. Quel est donc Celui qu’elle a enfanté ? Quel est-il ? C’est le Maître de la nature. Lorsque tu gardes le silence, la nature crie. Elle a enfanté Celui qui a été mis au monde de la façon qu’il avait choisie pour naître. Ce n’est pas la nature qui avait réglé cet enfantement, mais c’est le Maître de la nature qui introduit ce mode inusité de naissance, afin de montrer, en se faisant homme, qu’il ne naît pas comme un homme, mais comme un Dieu.

Il naît aujourd’hui d’une vierge qui triomphe de la nature et qui remporte la victoire sur le mariage. Il convenait au Dispensateur de la sainteté qu’il naquît d’un enfantement pur et saint. Il est Celui qui forma autrefois Adam d’une terre vierge et ensuite tira la femme d’Adam sans le concours d’une mère. De même qu’Adam, sans mère, donna naissance à la femme, ainsi la Vierge enfante aujourd’hui un homme sans le concours de l’homme. Et parce que le sexe de la femme était redevable envers l’homme depuis qu’Adam avait donné naissance à la femme sans le secours d’une femme, aujourd’hui la Vierge paye à l’homme la dette contractée par Ève, puisqu’elle enfante sans le secours de l’homme. Afin qu’Adam ne puisse s’enorgueillir d’avoir produit la femme sans le secours d’une femme, la Vierge engendre un homme sans le secours de l’homme, de telle sorte que l’égalité résulte de la parité des merveilles opérées. Adam perdit une de ses côtes et n’en fut pas amoindri ; d’autre part, le Seigneur s’est formé dans le sein de la Vierge un temple animé et il n’a point détruit sa virginité. Adam demeura sain et sauf après l’enlèvement de sa côte ; la Vierge n’a point été flétrie après la naissance de son fils.

Le Seigneur n’a point voulu se construire un autre temple, ni se revêtir d’un corps formé d’une autre manière, pour faire connaître qu’il ne méprisait pas le limon d’Adam. Et, parce que l’homme trompé était devenu l’instrument de Satan, il a fallu qu’il prît comme un temple animé celui-là même qui avait été séduit, afin que par cette union avec son Créateur, il l’arrachât à l’union et au service de Satan. Et, toutefois, se faisant homme, le Christ n’est pas mis au monde comme un homme, mais comme un Dieu, parce que s’il était issu, comme l’un de nous, d’un mariage ordinaire, la foule n’eût pas voulu croire en lui. Mais il naît d’une vierge et, en naissant, il garde le sein de sa mère immaculé, et cette vierge elle-même sans souillure, afin que les circonstances inusitées d’un pareil enfantement nous inspirent une foi plus grande. Donc, si le Gentil m’interroge ou si le juif n’interroge pour savoir si le Christ, étant Dieu par nature, s’est fait homme en dehors des lois de la nature, je répondrai qu’il en est ainsi, et j’en donnerai pour preuves les marques d’une virginité qui n’a point été violée. Car il n’y a qu’un Dieu qui puisse vaincre l’ordre de la nature, il n’y a que Celui qui a fait le sein de la femme et lui a donné sa virginité qui ait pu préparer pour lui-même ce mode immaculé de sa naissance et se construire, selon son désir, un temple bâti d’une manière ineffable.

Dis-moi donc, ô juif, si la Vierge a enfanté ou non ? Si elle a enfanté, reconnais la merveille de cet enfantement. Mais si elle n’a point enfanté, pourquoi as-tu trompé Hérode ? C’est toi-même qui as répondu lorsqu’il demandait où devait naître le Christ : « À Béthléem, dans la terre de Juda. » (Matth. II, 5.) Est-ce que je connaissais cette bourgade ou ce lieu ? Est-ce que j’étais informé de la dignité de Celui qui venait de naître ? Est-ce que ce n’est pas Isaïe qui fait mention de lui comme d’un Dieu ? « Elle enfantera un fils, » dit-il, « et on l’appellera Emmanuel. » (Isaïe, VII, 14.) N’est-ce pas vous, adversaires sans bonne foi, qui nous avez appris la vérité ? N’est-ce pas vous, scribes et pharisiens, observateurs exacts de la loi, qui nous avez instruits de toute cette affaire ? (Matth. I, 23.) Est-ce que nous connaissions la langue hébraïque ? Est-ce que vous n’avez pas été vous-mêmes les interprètes des Écritures ? Après que la Vierge eut enfanté, avant qu’elle enfantât, n’est-ce pas vous qui, interrogés par Hérode, afin qu’il fût clair que ce passage n’est pas interprété avec partialité, avez apporté en témoignage le prophète Michée, à l’appui de votre discours ? « Et toi, » dit-il, « Béthléem, maison de paix, tu n’es pas la dernière entre les principales villes de Juda ; car c’est de toi que sortira le chef qui gouvernera mon peuple d’Israël. » (Mich. V, 2 ; Matth. 2, 6.) Le prophète a dit avec raison : « De toi, » car c’est de vous qu’il est sorti pour être donné au monde.

Celui qui est se manifeste, mais celui qui n’est pas est créé ou formé. Mais lui, il était ; il était auparavant ; il était toujours. Il était de toute éternité comme Dieu, gouvernant le monde. Aujourd’hui, il se manifeste comme homme afin de gouverner son peuple, mais comme Dieu il sauve toute la terre. Ô ennemis utiles ! Ô accusateurs bienveillants ! Vous dont l’imprudence a révélé le Dieu né dans Béthléem, vous qui avez fait connaître le Seigneur caché dans la crèche, vous qui sans le vouloir avez montré la retraite dans laquelle il repose, vous qui devenus nos bienfaiteurs contre votre gré avez découvert ce que vous vouliez laisser dans l’ombre ! Voyez-vous ces maîtres inhabiles ? Ce qu’ils enseignent, ils l’ignorent : ils meurent de faim et ils nous nourrissent ; ils ont soif et ils nous désaltèrent ; ils sont dans l’indigence et ils nous enrichissent.

Venez donc et célébrons cette fête ; venez et que ce soit pour nous un jour de solennité. Que la manière de célébrer cette, fête soit extraordinaire, puisque le récit de cette naissance est extraordinaire. Aujourd’hui, le lien antique est brisé, le diable est couvert de confusion, les démons se sont enfuis, la mort est détruite, le paradis est ouvert, la malédiction est effacée, le péché a été banni, l’erreur a été vaincue, la vérité est revenue, et la parole de la piété est répandue et propagée en tous lieux. La vie du ciel est implantée sur la terre, les anges communiquent avec les hommes, les hommes ne craignent point de s’entretenir avec les anges. Et pourquoi ? Parce qu’un Dieu est venu sur la terre et l’homme dans le ciel, et qu’ainsi tout a été uni et mêlé. Il est venu sur la terre, lui qui est tout entier dans le ciel, et, étant tout entier dans le ciel, il est tout entier sur la terre. Étant Dieu, il s’est fait homme, sans renoncer à sa divinité. Étant le Verbe, non sujet au changement, il s’est fait chair : il s’est fait chair afin d’habiter parmi nous. Il n’est point devenu Dieu, mais il était Dieu. Mais il s’est fait chair, afin qu’une crèche pût recevoir Celui que le ciel ne pouvait contenir. Il est donc posé dans la crèche, afin que Celui qui nourrit toute créature reçoive d’une vierge mère la nourriture qui convient à un petit enfant.

De la sorte, le Père des siècles à venir devient un enfant à la mamelle et repose sur les bras d’une vierge, afin d’offrir aux mages un accès plus facile. Car aujourd’hui les mages arrivent et donnent l’exemple de ne point obéir au tyran : le ciel se réjouit et indique le lieu où repose son Seigneur, et ce Seigneur porté sur le nuage léger du corps qu’il a choisi s’avance rapidement vers le pays d’Égypte. En apparence, il fuit les embûches d’Hérode ; dans la réalité, il accomplit ce qui avait été dit par le prophète Isaïe : « En ce jour-là, » dit-il, « Israël sera le troisième, après l’Assyrien ; parmi les Égyptiens sera mon peuple béni sur la terre que bénit le Seigneur Dieu des armées en disant : Béni sera mon peuple en Égypte, en Assyrie, et en Israël ! » (Isaïe, XIX, 24.)

Que diras-tu, ô juif, toi, le premier, qui deviens le troisième ? Les Égyptiens et les Assyriens sont mis avant toi, et Israël, le premier-né, est compté ensuite. Il en est ainsi à bon droit. Les Assyriens viendront d’abord, puisque les premiers, ils ont adoré en la personne des mages. Les Égyptiens après les Assyriens, parce qu’ils l’ont reçu fuyant les embûches d’Hérode. Israël sera compté le dernier parce qu’après la sortie du Jourdain il l’a reconnu par la personne des apôtres. Il est entré en Égypte renversant les idoles de l’Égypte faites de la main de l’homme, après avoir fait mourir les premiers-nés des Égyptiens. (Isaïe, XIX, 1.) C’est pourquoi aujourd’hui il se présente en qualité de premier-né, afin de faire disparaître un deuil ancien. Qu’il soit appelé premier-né, c’est ce qu’atteste Luc l’évangéliste, en disant : « Et elle mit au monde son premier-né, et elle l’enveloppa de langes, et elle le plaça dans la crèche parce qu’il n’y avait point de place pour eux dans l’hôtellerie. » (Luc, II, 7.) Il entre en Égypte pour mettre fin au deuil antique, apportant la joie et non des plaies nouvelles, et au lieu de la nuit et des ténèbres la lumière du salut. Jadis, l’eau du fleuve avait été souillée par la mort des enfants enlevés avant l’âge. Maintenant, celui-là même entre en Égypte qui, autrefois, avait rougi ces ondes ; il donne à l’eau du fleuve la vertu d’engendrer le salut, purifiant par la puissance de l’Esprit tout ce qu’il y avait en elle d’impur et de souillé. Les Égyptiens, frappés de diverses plaies et se laissant aller à leur fureur, avaient méconnu Dieu. Il entre en Égypte et remplit de la connaissance de Dieu les âmes religieuses qui sont dans cette contrée, en sorte que la terre arrosée par le Nil aurait bientôt plus de martyrs que d’épis.

À cause de la brièveté du temps, je terminerai ici mon discours. Je terminerai lorsque j’aurai dit comment le Verbe, qui est immuable, est devenu chair, sans changement de sa nature. Mais que dirai-je ou comment parlerai-je ? Je vois un artisan, une crèche, un enfant, des langes, l’enfant né de la Vierge privé des choses nécessaires, de toutes parts la pauvreté, de toutes parts l’indigence. Avez-vous vu le riche dans une pauvreté profonde ? Comment étant riche est-il devenu pauvre à cause de nous ? Comment n’a-t-il point un lit, point de molle toison, mais la crèche toute nue sur laquelle il est jeté ? Ô pauvreté, source de richesses ! Ô richesses sans mesure, qui n’avez que l’apparence de la pauvreté ! Il repose dans la crèche et il ébranle le monde entier. Il est enveloppé dans les liens de ses langes et il brise les liens du péché. Il n’a pas encore fait entendre sa voix et il a instruit les mages et il les a disposés à la conversion.

Que dirai-je donc ou comment parlerai-je ? Voici l’enfant enveloppé de ses langes et couché dans la crèche ; Marie, vierge et mère est près de lui ; près de lui est Joseph, regardé comme son père. Celui-ci est appelé le mari, celle-là est saluée du nom de femme ; mais ces noms légitimes sont dépouilles de toute leur signification habituelle, ils doivent être compris comme une simple appellation, mais une appellation qui ne va point jusqu’à la nature des choses. Joseph est l’époux de Marie, mais l’Esprit-Saint l’a couverte de son ombre. Et c’est pour cela que Joseph hésite et ne sait quel nom donner à l’enfant. Il n’osait pas dire qu’il fût le fruit de l’adultère et ne pouvait proférer ce blasphème contre la Vierge, mais il ne pouvait pas dire qu’il fût son propre fils, car il savait qu’il ignorait comment et d’où l’enfant tirait son origine. C’est pour cela que, tandis qu’il doute, un oracle du ciel lui est apporté par la voix de l’ange : « Ne crains pas Joseph, car ce qui est né d’elle est de l’Esprit-Saint. » (Matth. I, 20.)

L’Esprit-Saint a couvert la Vierge de son ombre. Pourquoi donc est-il né de la Vierge, en conservant sa virginité immaculée ? Afin que, si jadis Satan trompa Ève encore vierge, Gabriel, à son tour, vint apporter un heureux message à Marie, elle-même vierge. Mais Ève trompée enfanta une parole qui introduisit la mort dans le monde, tandis que Marie, recevant un heureux message, enfanta dans la chair le Verbe qui nous donne la vie éternelle. La parole d’Ève indiqua le bois par lequel Adam fut chassé du paradis ; le Verbe sorti de la Vierge montre la croix par laquelle il introduit le larron à la place d’Adam dans le paradis. Car comme les gentils, les juifs et les hérétiques ne voulaient pas croire que Dieu engendre sans écoulement de sa substance, en demeurant immuable, c’est pourquoi aujourd’hui, sorti d’un corps sujet au changement, il a conservé, dans son intégrité, ce corps sujet au changement, pour nous faire comprendre que, de même qu’il est né d’une vierge sans briser sa virginité, ainsi Dieu, sans changement ni écoulement de sa substance sainte, comme Dieu, a engendré un Dieu, ainsi qu’il convenait à un Dieu.

Et, parce que les hommes, ayant abandonné Dieu, se sont fait des statues de forme humaine auxquelles ils portaient leur culte, au mépris du Créateur ; à cause de cela, aujourd’hui, le Verbe de Dieu, étant Dieu, apparaît sous la forme de l’homme, afin de détruire le mensonge et de transporter vers lui-même tout culte. À lui donc qui rétablit de la sorte toutes choses dans une voie meilleure, à Celui qui est le Christ Notre-Seigneur, gloire et honneur, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles !

Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. HORIOT.

 

 

Fin du Sixième Volume.

 


[1] C’est-à-dire par l’opération du Saint-Esprit.

[2] Ce qui suit est cité par saint Cyrille dans son livre aux Reims.