NORMALISATION !!! Retour à “la normale” ou régularisation d’une “Tradition” désintégrée ?
NORMALISATION !!! Retour à “la normale” ou régularisation d’une “Tradition” désintégrée ?
« Si un ordre donné semble injuste, on a toujours la possibilité d’un recours à l’autorité supérieure, mais à la condition d’avoir d’abord obéi. Et, comme il n’existe ici-bas aucune autorité qui soit supérieure à celle du Souverain Pontife, vicaire de Jésus-Christ, Notre Seigneur, la conséquence logique, inévitable est qu’il faut se soumettre à ses ordres, à ses conseils et à ses désirs, en faisant abstraction complète de nos jugements particuliers. »
(Aventino – La doctrine de Léon XIII)
« Le Pontife Romain successeur de Saint Pierre dans sa primauté,
a non seulement la primauté d’honneur, mais le pouvoir de
juridiction suprême et entier sur l’Église Universelle,
tant dans les matières qui concernent la foi et les mœurs,
que dans celles qui se rapportent à la discipline et au
gouvernement de l’Église répandue dans le monde entier. »
(Canon 218 – Codex 1917)
________________
Dans un document hallucinant de sophismes, d’erreurs et de dénis, l’Abbé Franz Schmidberger adresse à tous les membres de la FSSPX un document sous forme de Lettre dont on nous dit qu’il a été distribué à tous les prêtres de la Fraternité il y a quelques semaines…
La “Résistance” interne (et son organe officiel : France Fidèle – Union Sacerdotale Marcel Lefebvre – NNSS Faure, Williamson, Thomas d’Aquin) y va de sa critique “catholique” et se dit terrifiée (sic!) au vu de « cette désintégration planifiée » sous prétexte de « normalisation » (on appréciera les relents historiquement nauséabonds de ce terme…).
Nous autres, catholiques semper idem, sommes aussi terrifiés mais, contrairement à la dite “Résistance”, nous ne sommes pas surpris et ne mettons pas notre espérance chrétienne dans une illusoire conversion des prétendues “autorités” apostâtes et hérétiques de Rome et d’ailleurs…
Bien conscient que son document allait appeler pour le moins quelques réserves, notre Abbé et grand ami de Joseph Ratzinger *, consacre tout un chapitre pour répondre aux objections dont il présuppose par ailleurs qu’elles viendront principalement de la fameuse Résistance…
Le petit travail d’analyse et de commentaires que l’on m’a suggéré en “haut lieu” semble assurément dépasser, et de très loin, mes forces et mes compétences personnelles. Néanmoins, suppliant l’Esprit Saint d’y mettre son petit grain de sel bénit, je vous propose , chers lecteurs forcément indulgents, de passer en revue les diverses assertions de l’Abbé, d’en démasquer l’esprit pervers, d’en débusquer les sophismes, oublis, dénis et raisonnements captieux. Et s’il s’avère que je n’ai pas été à la hauteur de mes prétentions, nul doute que d’autres catholiques se feront un devoir sacré de venir rectifier, compléter ou commenter mon modeste article. Car, comme dit l’Abbé, « la conversion réclame notre collaboration », étant bien entendu qu’il s’agit avant tout et principalement de …la nôtre !!!
Notons au passage que le titre lui-même requiert notre attention ; normalisation évoque un “retour à la normale” et rien que cela permet de savourer combien grande est la distance entre la coupe d’un retour de l’Église et les lèvres d’un clerc impatient de la retrouver dans toute l’ampleur de son « mystère », comme dit l’Abbé F. S. !
Fidèle à ma méthode de l’insert, qui vaut ce qu’elle vaut, je propose à mes lecteurs de lire ou relire ce document accablant en leur faisant profiter de mes petits commentaires, en mettant en relief (gras, italiques, couleurs) les incongruités de l’Abbé et les mots ou passages qui fâchent, persuadé que nos lecteurs prendront la plus grande part aux commentaires et réflexions qui leur reviennent au fil de leur lecture.
Pierre LEGRAND.
* : on peut d’ailleurs légitimement se poser la question de savoir si les bouquets de roses offerts par l’Abbé à “l’Abbé Ratzinger” n’ont pas donné des idées de bouquets “spirituels” à Mgr Fellay…quelle vilaine pensée n’est-ce pas !…
« Normalisation » (Régularisation)
Par M. l’abbé Franz Schmidberger de la FSSPX
Lettre à tous les membres de la FSSPX
I. L’Église est un mystère. C’est le mystère de la présence de Dieu parmi nous, notre Sauveur, Dieu, qui ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. La conversion réclame notre collaboration.
II. L’Église est infaillible dans sa nature divine ; mais elle est dirigée par des personnes qui peuvent faire des erreurs et parfois font des erreurs. Nous devons distinguer la fonction de la personne. Ce dernier reste un certain temps en fonction et puis le quitte, que ce soit par la mort ou d’autres circonstances, mais la fonction demeure. Aujourd’hui, le pape François a le ministère papal et le primat de l’autorité. D’ici une heure, nous ne savons pas, il peut démissionner et un autre pape sera élu. Cependant, tant qu’il occupe le Siège Papal, nous le reconnaissons tel et nous prions pour lui.
Nous ne disons pas que c’est un bon pape. Au contraire, il provoque avec ses idées libérales et il crée une grande confusion dans l’Église. Mais lorsque le Christ a fondé la Papauté, Il voyait toute la suite des papes de toute l’histoire de l’Église, y compris le pape François. Et pourtant, Il a permis son accession au trône papal.
De même, Notre Seigneur a établi le Sacrement de Sa divine Présence, bien qu’Il ait prévu les nombreux sacrilèges de l’histoire.
III. Monseigneur Lefebvre a fondé la FSSPX au milieu de cette époque de confusion pour l’Église. Elle est appelée à donner une nouvelle génération de prêtres à l’Église, pour préserver le vrai Sacrifice de la Messe et proclamer le règne de Jésus-Christ partout dans la société, même contre les papes et prélats libéraux qui ont trahi la Foi. Aussi cela devait nécessairement aboutir à un conflit (sic!) : en 1975, la fraternité fut envoyée en exil. (À l’ile d’Yeu ou à Ste Hélène??!) Là, non seulement elle a survécu, mais elle a grandi et est devenue pour de nombreuses personnes un signe de contradiction contre la destruction de notre époque.
L’opposition devint claire pour tout le monde le 30 juin 1988 quand, pour des raisons de nécessité, Mgr Lefebvre consacra quatre évêques.
IV. Cependant, Mgr Lefebvre a toujours cherché une solution canonique pour la Fraternité et il n’évita pas les conversations avec les autorités romaines, qui demandaient de reculer. Il continua ses efforts même après les consécrations épiscopales, bien que dans son réalisme, il avait peu d’espoir de succès. Il demandait, usant d’arguments ad hominem, de le laisser « faire l’expérience de la Tradition ». Il acceptait tout à fait que la Fraternité était dans une situation exceptionnelle et que ce n’était pas de sa faute mais de celle de ses adversaires. Jusqu’en 2000, la situation demeura ainsi. À partir de ce moment, Rome pensa (car avant Rome ne pensait pas ? il est vrai que le “fruit” n’était pas encore assez mûr !) remédier à cette situation, parfois d’une manière astucieuse, parfois avec d’honnêtes intentions, selon la personne en charge du dossier du côté romain.
V. Le déclin de l’Église, simultané au constant développement de la Fraternité, amena quelques évêques et cardinaux à être d’accord en tout ou en partie, bien que ce soit difficile à reconnaître. (sic!) Rome baissa progressivement ses exigences et les propositions récentes ne parlent plus de reconnaître Vatican II, ni la légitimité du Novus Ordo Missae. Aussi il semble que le moment d’une normalisation de la Fraternité est arrivé, et cela pour plusieurs raisons :
1) Toute situation anormale conduit d’elle-même à la normalisation. C’est dans la nature des choses.
2) Nous ne devons pas perdre de vue le danger que les fidèles et quelques membres se sont habitués à la situation et la voit comme étant normale. Les oppositions çà et là contre la participation à l’Année Sainte comme aussi le total mépris pour l’attribution d’une juridiction ordinaire par le pape François (Nous en appelons toujours à l’état de nécessité et avons recours à la juridiction extraordinaire conformément à la loi). Cela provoque des remous. Si les fidèles ou des membres de la Fraternité trouvent confortable cette situation de liberté de dépendance de la hiérarchie, alors cela implique une perte graduelle du « sensus ecclesiae ». Nous ne devons jamais argumenter : « Nous avons la saine doctrine, la vraie Messe, nos séminaires, prieurés et évêques, nous ne manquons de rien. »
3) Nous avons des sympathisants (sic!) parmi les prêtres et cardinaux, dont certains voudraient faire appel à nous pour les aider, ils nous donneraient des églises et peut-être confieraient un séminaire à nos soins. Mais actuellement, à cause de notre situation, c’est impossible pour eux de le faire. En tout cas, les obstacles qu’ont les fidèles craintifs vont diminuer. Dans les médias et partout, nous sommes considérés comme des schismatiques, nous rejetons ces affirmations.
4) Dans les années à venir, nous aurons un besoins urgent de nouveaux évêques. Il est certainement possible de sacrer sans mandat pontifical en cas d’urgence, mais s’il est possible de sacrer des évêques avec la permission de Rome, la dite permission doit être recherchée.
5) Modernistes, libéraux et autres ennemis de l’Église, sont très intéressés par ce qui concerne la solution canonique pour la fraternité. Le discernement des esprits à cet égard ne suggère-t-il pas ce qu’est la bonne et la meilleure voie ?
6) Comment l’Église va-t-elle surmonter cette crise ? Dans l’état actuel des choses, on voit qu’il n’y a pas même une lueur d’espoir. En revanche, l’acte officiel de reconnaissance de la Fraternité déclencherait un trouble sain à l’intérieur de l’Église. Le bien serait encouragé, les malveillants subiraient une défaite.
VI. Réponses à quelques objections : (c’est l’hôpital qui se fout de la charité…comme si la “Résistance” n’était pas capable de le faire ! c’est d’ailleurs ce qu’elle va faire un peu plus loin !!!)
1) Comment peut-on aspirer à une reconnaissance par le pape François ?
Réponse : Nous avons déjà mentionné ci-dessus la nécessaire distinction entre la fonction et le titulaire de cette fonction. Il n’y a aucun doute que le pape actuel exerce son rôle établi par Dieu. Mais nous devons garder à l’esprit ce qu’était réellement le Concile et les conséquences qu’il a apportés dans l’Église : confusion, la dictature du relativisme, la pastorale supérieure à la doctrine, l’amitié avec les ennemis de Dieu et les ennemis du christianisme. Mais c’est précisément ici une des erreurs du Concile : séparer la cause des effets. Certains étaient trop sous le charme de la personne de Benoît XVI, au lieu de regarder d’abord la fonction papale et la personne ensuite, sa démission étant alors une douche froide pour beaucoup. Nous ne devons pas faire la même erreur d’être nous-mêmes trop sous le charme d’une personne plutôt que de l’institution divine. (Tu l’as dit bouffi !) Peut-être que le pape François est le seul en mesure de prendre cette décision (normalisation) par imprévisibilité et improvisation. (sic!!!) Les médias pourront lui pardonner d’avoir pris cette décision, mais n’auraient jamais pardonné à Benoît XVI.
Avec son style de gouvernement autoritaire, pour ne pas dire tyrannique, il serait en mesure de mettre en œuvre cette décision, même pour la Résistance.
2) Mais alors que diront les gens de « la Résistance » ? (Le qu’en dira-t-on ! et que fait-on du « Qu’en dira Dieu ?»)
Réponse : Nous ne pouvons guider notre action sur des personnes qui ont, de toute évidence, perdu le sens de l’Église et de l’amour de l’Église dans sa forme concrète. À l’heure actuelle, ils se battent entre eux.
3) À l’avenir, nous devrons garder le silence sur toutes les erreurs actuelles.
Réponse : Nous ne nous tairons pas, au contraire nous appellerons les erreurs par leur nom, avant comme après notre normalisation. Nous voudrions bien revenir de l’ « exil » où nous sommes maintenant.
4) Le pape François a une si mauvaise réputation parmi les catholiques qu’une reconnaissance de la Fraternité venant de lui provoquerait plus de tort que de bénéfice pour la Fraternité.
Réponse : Depuis le début, nous distinguons entre la fonction et la personne. Si François est le pape – ce qu’il est – alors il a aussi le primat de juridiction sur toute l’Église, qu’il fasse par ailleurs du bien ou du tort à l’Église. Nous devons suivre ce chemin, celui de faire du bien à l’Église ; ne nous laissons pas diriger par la recherche des faveurs humaines et Dieu nous bénira.
5) Mais cette intégration de la FSSPX dans le système conciliaire va lui « coûter » son profil, peut-être même son identité.
Réponse : Tout cela dépend de la fermeté avec laquelle nous tenons et de qui convertit qui. Si nous agissons vigoureusement, nous appuyant sur la grâce de Dieu, alors notre situation pourra être une grâce pour toute l’Église. Y a-t-il un autre endroit où pourrait être la Fraternité pour être en mesure de rendre possible une telle conversion ? Évidemment, nous ne devons pas prendre appui sur nos qualités et nos forces, mais sur l’aide de Dieu. Pensez au combat entre David et Goliath. Faisons une analogie : comme chrétiens, nous sommes dans un monde méchant et corrompu et c’est là que nous devons faire nos preuves. Le danger de contagion est grand, mais nous pouvons et devons y échapper avec la grâce de Dieu.
6) Toutes les congrégations qui se sont soumises à Rome se sont adaptées au système conciliaire ou ont même disparu.
Réponse : Notre position de départ n’est pas la même : dans notre cas, c’est Rome qui fait pression pour trouver une solution et s’approche de nous. Dans les autres cas, ces congrégations étaient les demandeurs, venant souvent à Rome avec un sentiment de culpabilité.
De plus, aucune d’elles n’avait un évêque, hormis l’administration apostolique Saint Jean-Marie Vianney de Campos au Brésil, où l’évêque Mgr Riffan est prêt à tous les compromis.
Bien sûr, nous avons besoin d’une solide protection par une structure ecclésiale appropriée. Cela semble garanti par une prélature personnelle. Cette structure n’a été offerte à aucune autre congrégation. Après tout, l’objection soulevée n’est que partiellement exacte : par exemple, la Fraternité Saint-Pierre existe depuis déjà 27 ans et est restée fidèle, au moins dans les régions germanophones, à la Sainte Messe traditionnelle avec peu de concessions. Toutefois, la Fraternité Saint Pie X était son assurance-vie « en coulisses ».
VII. Conclusion
Si Dieu veut aider Son Église, Il a de nombreux moyens. L’un d’eux est la reconnaissance de la FSSPX par les autorités romaines. La FSSPX n’est-elle pas consacrée à la Très Sainte Vierge, qui la protégera et la guidera dans ses travaux dans la nouvelle situation ?
Dignare me laudare te, Virgo sacrata ; da mihi virtutem contra hostes tuos.
Permettez, ô Vierge sainte, que je chante vos louanges ; donnez-moi la force contre vos ennemis.
Zaitzkofen, le 19 février 2016
abbé Franz Schmidberger
Recteur
Voici à présent, chers amis lecteurs, la réponse de la “Résistance” à ce qu’elle appelle, non sans raison, les sophismes de l’Abbé Schmidberger…
À lire cette réponse, on se dit de prime abord que la résistance semble obnubilée par cette fameuse « reconnaissance canonique » qu’elle dit être unilatérale. Axée sur son opposition ouverte à Mgr Fellay, digne successeur « dynamique » de Mgr Lefebvre, la résistance traite le problème par le petit bout de la lorgnette, oublieuse qu’elle est que son « point de départ », son déni du réel, est commun avec ses frères ennemis et que sa voie est forcément, avec un tel départ, une voie sans issue.
Voici la réponse catholique à tous ces sophismes :
« Reconnaissance canonique unilatérale : quel danger pour la Foi ? »
Peut-être pourra-t-on penser qu’après tout, si cela plaît à Rome de nous reconnaître officiellement sans rien nous demander en échange, tout est très bien et cela va même nous permettre d’avoir un plus grand rayonnement. Était-ce ce que pensait Mgr Lefebvre ?
- Une reconnaissance canonique nous met sous de nouveaux supérieurs
« Ce transfert d’autorité, c’est cela qui est grave, c’est cela qui est excessivement grave. Il ne suffit pas de dire : “On n’a rien changé dans la pratique (1) C’est ce transfert qui est très grave, parce que l’intention de ces autorités, c’est de détruire la Tradition” » (2)
« Ce ne sont pas les sujets qui font les supérieurs, mais les supérieurs qui font les sujets » (3)
« Nous éprouvons la nécessité absolue d’avoir des autorités ecclésiastiques qui épousent nos préoccupations et nous aident à nous prémunir contre l’esprit de Vatican II et l’esprit d’Assise. » (4)
À ceci s’ajoute le fait que, les évêques de la Fraternité vieillissant, lorsqu’il y aura besoin de sacrer de nouveaux évêques pour les remplacer, il faudra, pour le choix de ceux-ci, avoir l’aval de la Rome actuelle, laquelle, si elle n’est toujours pas convertie, n’acceptera jamais de candidats antilibéraux et antimodernistes. C’est courir au suicide de la Tradition.
- Une reconnaissance canonique, même unilatérale, dans les circonstances actuelles, fait inévitablement arrêter le combat de la foi
Il y a un processus psychologique évident : lorsqu’on s’est mis sous de nouveaux supérieurs, on arrête de critiquer ses nouveaux maîtres pour ne pas risquer de perdre un statut qui a été obtenu après tant d’années de labeurs. Mgr Fellay a d’ailleurs arrêté depuis longtemps ses attaques de la Rome conciliaire, à la demande même de Rome : « Rome souhaite que nous attaquions moins ; et je suis d’accord ». (5) À Arcadia en Californie le 10 mai 2015, Mgr Fellay précisera : « Quand nous voyons le pape, des cardinaux, des évêques, dire des choses mauvaises, ne sommes-nous pas prêts à les critiquer rapidement ? Mais pensez-vous que cela les aidera ? Une prière pour eux les aidera davantage. »
Mais le simple fait de ne plus dénoncer les scandales de Rome, ou de ne plus le faire que timidement et sous la pression des fidèles et des prêtres inquiets, en évitant de s’attaquer nommément au pape, fait ressembler de plus en plus la Tradition aux communautés ralliées qui ont abandonné le combat de la foi.
Il est intéressant de relire ce qu’écrivait Mgr Fellay après la reconnaissance unilatérale du clergé traditionnel de Campos (Brésil) par la Rome conciliaire :
« Une attitude de duplicité implicite est devenue comme la norme dans la situation où ils se trouvent : on souligne les points du pontificat actuel qui paraissent favorables, on passe sous un révérencieux silence ce qui ne va pas. On pourra dire tout ce que l’on voudra : le 18 janvier 2002 à Campos, il n’y a pas eu seulement une reconnaissance unilatérale de Campos par Rome, mais il y a une contrepartie : la complicité du silence. Ainsi, petit à petit, le combat s’estompe, et on finit par s’accommoder de la situation. À Campos même, tout ce qui est positivement traditionnel est conservé, certes, donc les fidèles ne voient pas de changement, sauf les plus sagaces qui remarquent la tendance à parler davantage et respectueusement des déclarations et événements romains actuels en omettant les mises en garde d’autrefois et les déviations d’aujourd’hui ». (6)
Mgr Fellay reprocha en particulier au clergé de Campos de n’avoir pas réagi publiquement lorsque Jean-Paul II avait organisé la même réunion dans la cité de saint François (ce clergé venait de se rallier à la Rome conciliaire) :
« Il faut bien distinguer un manque à la vertu de foi elle-même d’un défaut dans la confession publique de la foi qui est nécessaire dans certaines circonstances comme l’a si bien rappelé Mgr de Castro Mayer le jour des sacres [de 1988]. Or une prévarication comme celle d’Assise réclame cette confession publique… que nous n’avons pas entendue venant de Campos (7) [et que nous n’entendons plus de Menzingen.] »
Cependant, les conséquences de ce silence sont très dangereuses pour la foi elle-même, ainsi que le faisait remarquer Mgr Lefebvre :
« Dès que [ces communautés ralliées] se taisent, elles commencent à glisser, même très lentement, jusqu’à ce qu’elles finissent par admettre les erreurs de Vatican II. (8) »
Benoît XVI lui-même l’avait constaté. Après la levée des «excommunications» et pour rassurer les évêques du monde entier sur une possible reconnaissance de la Fraternité Saint-Pie X, il leur écrivit :
« Moi-même j’ai vu, dans les années qui ont suivi 1988, que, grâce au retour de communautés auparavant séparées de Rome, leur climat interne a changé ; que le retour dans la grande et vaste Église commune a fait dépasser des positions unilatérales et des durcissements, de sorte qu’ensuite en ont émergé des forces positives pour l’ensemble » (9)
- La prélature personnelle nous fait rentrer de fait dans l’Église conciliaire
Ajoutons que La Prélature Personnelle qui serait accordée à Mgr Fellay, comme Rome le laisse entendre, et qui est une innovation du nouveau Code de Droit Canon, ne donne juridiction au prélat que sur ses prêtres. Pour ce qui est de l’apostolat, le canon 297 précise : « Les statuts déterminent également les rapports de la prélature personnelle avec les Ordinaires des lieux des Églises particulières où, avec le consentement préalable de l’évêque diocésain, la prélature accomplit ou désire accomplir ses tâches pastorales ou missionnaires (10) » Si cette prélature était accordée, la reconnaissance dite unilatérale serait donc, ni plus ni moins un ralliement puisqu’elle mettrait prêtres et fidèles sous la dépendance du nouveau Code qui est la mise en lois des nouveautés de Vatican II.
- Une reconnaissance canonique supprime nos protections en nous mettant dans une cohabitation dangereuse avec le clergé et les fidèles conciliaires
Donnons ici un extrait des quelques notes que Mgr Lefebvre avait remises aux supérieurs religieux lors d’une réunion qu’il avait tenue au prieuré du Pointet le 30 mai 1988 pour leur demander leur avis sur la possibilité d’une reconnaissance par Rome :
« Relations avec les évêques, un clergé et des fidèles conciliaires :
« malgré l’exemption très étendue, les barrières canoniques disparaissant, il y aura nécessairement des contacts de courtoisie et peut-être des offres de coopération, pour les unions scolaires – union des supérieurs – réunions sacerdotales – cérémonies régionales, etc… Tout ce monde est d’esprit conciliaire – œcuméniste – charismatique.
« Nous étions jusqu’à présent protégés naturellement, la sélection s’assurait d’elle-même par la nécessité d’une rupture avec le monde conciliaire. Désormais, il va falloir faire des dépistages continuels, se prémunir sans cesse des milieux romains, des milieux diocésains. C’est pourquoi nous voulions trois ou quatre évêques et la majorité dans le Conseil Romain (11). Le problème moral se pose donc pour nous : prendre les risques de contacts avec ces milieux modernistes, avec l’espoir de convertir quelques âmes et avec l’espoir de se prémunir, avec la grâce de Dieu et la vertu de prudence, et ainsi demeurer légalement unis à Rome par la lettre, car nous le sommes par la réalité et l’esprit ? Ou faut-il avant tout préserver la famille traditionnelle pour maintenir sa cohésion et sa vigueur dans la foi et dans la grâce, considérant que le lien purement formel avec la Rome moderniste ne peut pas être mis en balance avec la protection de cette famille, qui représente ce qui demeure de la véritable Église catholique ? »
« Si nous avions accepté [un accord], nous serions morts ! Nous n’aurions pas duré un an. Il aurait fallu vivre en contact avec les conciliaires » (12)
Citons encore ce qu’il avait dit au cardinal Ratzinger le 14 juillet 1987 :
« Éminence, même si vous nous accordez un évêque, même si vous nous accordez une certaine autonomie par rapport aux évêques, même si vous nous accordez toute la liturgie de 1962, si vous nous accordez de continuer les séminaires et la Fraternité comme nous le faisons actuellement, nous ne pourrons pas collaborer, c’est impossible ; parce que nous travaillons dans des directions diamétralement opposées : vous, vous travaillez à la déchristianisation de la société, de la personne humaine, de l’Église. Nous, nous travaillons à la christianisation. On ne peut pas s’entendre. Vous venez de me dire que la société ne peut pas être chrétienne (13) »
C’est pourquoi, après tant d’années où il avait essayé en vain d’obtenir une reconnaissance avec toutes les protections nécessaires, Mgr Lefebvre n’envisageait plus d’accord possible avec Rome sans la conversion du pape et de la hiérarchie actuelle. Il écrivit ainsi aux futurs évêques avant les sacres :
« Je vous conférerai cette grâce [de l’épiscopat], confiant que sans tarder le Siège de Pierre sera occupé par un successeur de Pierre parfaitement catholique (14) en les mains duquel vous pourrez déposer la grâce de votre épiscopat pour qui la confirme (15) »
Il confirmera cette nécessité de la conversion de Rome à plusieurs occasions, par exemple : « C’est un devoir strict, pour tout prêtre voulant demeurer catholique, de se séparer de cette Église conciliaire tant qu’elle ne retrouvera pas la Tradition du Magistère de l’Église et de la foi catholique » (Itinéraire Spirituel, écrit en 1990). « Quand on nous pose la question de savoir quand il y aura un accord avec Rome, ma réponse est simple : quand Rome recouronnera Notre-Seigneur Jésus-Christ ». (16)
Parlant de la tentative d’accords qu’il fit en 1988, il écrira :
« Je suis allé plus loin même que je n’aurais dû aller. » (17)
On ne comprend donc pas comment Mgr de Galarreta, à Bailly, le 17 janvier 2016, a pu dire : « Refuser la possibilité d’un accord n’était pas la position de Mgr Lefebvre » (et oui pour la bonne raison qu’il posait en préalable « le retour de Rome à la Tradition ») ; et Mgr Tissier de Mallerais, le 21 mars 2016 : « Mgr Lefebvre n’a jamais posé, comme condition de notre nouvelle reconnaissance, que Rome abandonne les erreurs et les réformes conciliaires » (18) alors qu’un an auparavant, dans un très beau sermon donné à Chicago le 1er janvier 2015, Mgr Tissier avait ces fortes paroles : « Nous allons mettre en œuvre ce que Mgr Lefebvre, notre fondateur, a écrit dans son Itinéraire Spirituel et qui est son testament spirituel : « C’est un devoir strict pour tout prêtre voulant demeurer catholique, etc. » (supra). »
La Fraternité Saint Pie X confirmera la position de Mgr Lefebvre à son Chapitre Général de 2006 : « Les contacts que [la Fraternité] entretient épisodiquement avec les autorités romaines ont pour seul but de les aider à se réapproprier la Tradition que l’Église ne peut renier sans perdre son identité, et non la recherche d’un avantage pour elle-même, ou d’arriver à un impossible « accord » purement pratique ».
Cette position fut gardée jusqu’en 2012, et Mgr Fellay la prêchait clairement : « Il est impossible et inconcevable d’envisager des accords avant que les discussions [doctrinales] n’aient abouti à éclairer et corriger les principes de la crise » (Fideliter, mai/juin 2006).
La situation se serait-elle tellement améliorée à Rome, que tout ce que nous venons de rappeler ne soit plus vrai aujourd’hui ?
Parce Domine !
Pierre Legrand.
[1] — C’est ce que disent tous les ralliés au début pour se justifier.
[2] — Mgr Lefebvre, Conférence à Écône le 8 octobre 1988.
[3] — Mgr LEFEBVRE, dans Fideliter n° 70, p. 6. Nous en avons eu une preuve nouvelle avec les Franciscains de l’Immaculée, vigoureusement sanctionnés par le pape François (tous les supérieurs importants démis de leur charge) pour être passés à la Messe traditionnelle en s’appuyant pourtant sur le Motu Proprio de Benoît XVI. On fait maintenant signer aux novices un papier où ils s’engagent à célébrer la messe nouvelle plus tard.
[4] — Mgr LEFEBVRE, Lettre au pape Jean-Paul II, 2 juin 1988. Est-ce François qui nous protégera de l’esprit de Vatican II et de l’esprit d’Assise ?
[5] — Mgr Fellay, conférence au séminaire de Winona (USA) en février 2015.
[6] — Mgr FELLAY, Lettre aux amis et bienfaiteurs de la Fraternité Saint-Pie X n° 63, janvier/février 2003
[7] — Nouvelles de Chrétienté n° 73, mars/avril 2002.
[8] — Mgr LEFEBVRE, Entretien paru dans Fideliter 79 au mois de mars 1991
[9] — Benoît XVI, Lettre aux évêques de l’Église catholique au sujet de la levée de l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, 10 mars 2009.
[10] — Le commentaire du nouveau Code par le chanoine Paralieu (Bourges, Tardy, 1985) dit clairement : « Le prélat qui est à la tête de la prélature n’a donc pas son propre peuple » (p. 113). Les fidèles demeurent donc sous la juridiction de l’évêque diocésain. Le commentaire de Caparros (Montréal, Wilson et Lafleur Itée, 1999) précise encore : « Les tâches pastorales ou missionnaires auxquelles le Code fait ici allusion constituent la finalité pour laquelle le Saint-Siège érige les prélatures personnelles. Ces tâches […] doivent s’insérer harmonieusement dans la pastorale commune de l’Église universelle tout comme dans la pastorale organique des Églises particulières » (p. 231). Il ne restera plus grand chose de la liberté des prieurés. La prélature est un véritable piège. Mgr Lefebvre n’avait jamais envisagé de prélature personnelle, mais un « Ordinariat », structure qui existait avant le Concile, par exemple pour l’évêque aux Armées, et qui exempte les fidèles de la juridiction de l’évêque local (voir la vie de Mgr Lefebvre par Mgr Tissier à la page 580). Rome se garde bien de soulever cette possibilité aujourd’hui.
[11] — Pour nous protéger en cas d’accord, Mgr Lefebvre voulait une Commission à Rome comportant une majorité de traditionalistes pour régler les différends entre les évêques diocésains et la Tradition. Rome n’a jamais accepté ; et il n’en a plus jamais été question, ni pour aucune communauté ralliée ni dans les tractations entre Mgr Fellay et la Rome moderniste. Or c’est le minimum qu’il devrait exiger.
[12] — Conseils aux futurs évêques avant les sacres, publiés dans Le Sel de la terre 28.
[13] — Mgr LEFEBVRE, Conférence aux prêtres à Écône pour la retraite sacerdotale, 1er septembre 1987. Mgr Lefebvre y relate, entre autres, l’entretien qu’il avait eu à Rome avec le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi le 14 juillet 1987.
[14] — Nous en sommes loin avec François !
[15] — Mgr LEFEBVRE, Lettre aux futurs évêques, 28 août 1987. Si une reconnaissance canonique est acceptée, cela va directement contre l’intention de Mgr Lefebvre lorsqu’il a sacré les quatre évêques.
[16] — Mgr LEFEBVRE, Conférence à Flavigny, décembre 1988. Fideliter n° 68, p. 16.
[17] — Entretien, Fideliter 79, janvier/février 1991, deux mois avant sa mort.
[18] — Publié sur La Porte Latine le 22 mars 2016.