LE PLUS GRAND FAIT D’ARMES DES FRANCS, SOLDATS DU CHRIST-ROI
Le Plus Grand Fait d’Armes des Francs,
Soldats du Christ-Roi
https://www.youtube.com/watch?v=QtjSjQywxA8
Le lieu : MONTGISARD.
La date : le vendredi 18 novembre 1177.
Faits précédents : « …Un nouveau malheur attendait les Francs. Toutes les milices de l’arrière-ban qui se dépêchaient de rejoindre leur roi et arrivaient par petits groupes, se trouvèrent soudain environnées par l’ennemi. Les unes après les autres, elles furent massacrées ou faites prisonnières. Elles furent attachées en longues files derrière des chameaux et traînées ainsi à la suite de l’armée.
« Dans tout le royaume ce fut la panique et l’épouvante. Tout le monde fuyait. Les campagnes et les villes étaient désertées. Ramla dont les défenses n’étaient pas assez solides avait été abandonnée. Les uns, ceux qui étaient en mesure de se battre, étaient allés rejoindre le roi à Ascalon par la côte, les autres s’étaient jetés dans le port de Jaffa ou dans le château de Mirabel dont les hautes murailles juchées au sommet des première collines, dominaient toute la plaine du littoral. De cet observatoire exceptionnel les réfugiés apeurés pouvaient voir les cavaliers ennemis sillonnant leurs terres, coupant leurs arbres et leurs vignes, démolissant leurs maisons, transformant leurs récoltes en brasiers. Au loin une lourde fumée noire montait des ruines de Ramla. À regarder ces troupes hurlantes, déchaînant l’apocalypse, on pouvait se croire revenu aux jours les plus sombres de l’Occident quand les hordes des Huns anéantissaient tout sur leur passage. La terreur que répandaient les musulmans était telle qu’à Jérusalem même l’affolement gagnait la population. Des familles entières abandonnèrent leurs maisons pour se mettre à l’abri derrière les énormes mœllons de la Tour de David.
« Tout semblait perdu. Seul un miracle aurait pu sauver le royaume. Baudouin faisant preuve de la fermeté d’un véritable chef, ne cédait pas au désespoir. Devant tant de massacres et de désolations, il était prêt à livrer combat coûte que coûte pour tenter d’arrêter la marche de Saladin.
« Un léger renfort venait de lui arriver avec les Templiers de Gaza qui avaient préféré déserter leur ville pour se joindre à lui. Quatre-vingts frères étaient venus avec Eudes de Saint-Amand, ce qui portait les effectifs, selon Guillaume de Tyr, à trois cent soixante-quinze chevaliers ! Quand on songe que plus de cinquante mille musulmans écumaient la campagne, on comprend l’angoisse qui devait étreindre les cœurs les plus solides ! Cependant, en dépit de tout, Baudouin décida de quitter Ascalon. Avec lui, il emmena pour implorer l’aide des cieux, la Vraie Croix, ce bois sacré recouvert de plaques d’or incrustées de pierreries que l’on sortait les jours de grands dangers, comme en France l’oriflamme de Saint-Denis. Pour ne point attirer l’attention de l’ennemi, il fit sortir ses troupes par la porte qui se trouvait le long de la mer. Ensuite, ils remontèrent à travers les dunes pour se mieux dissimuler et parvinrent ainsi près d’Ibelin. C’est alors en se dirigeant vers Ramla qu’ils se rendirent compte de l’étendue de la catastrophe. À mesure qu’ils marchaient au milieu des champs de coton brûlés, des maisons abattues, des vignes arrachées, dans l’air empuanti par les cadavres égorgés, éventrés de leurs frères, les Francs sentaient monter en eux une sourde et terrible colère. Loin de les abattre, la vue de tous ces malheurs ne faisait que les inciter davantage à se venger. Il n’était plus question d’attendre ou de manœuvrer avec pusillanimité, mais de courir contre le camp de Saladin et de le combattre.
« Celui-ci progressait assez lentement et se trouvait encore au sud de Ramla, tandis que son séide, l’arménien Ivelin, poussait avec sa cavalerie, jusqu’à Calcalie bien plus au nord. Sans aller jusqu’à Ramla, les Francs obliquèrent à l’est vers le Tell Djezer, simple butte au milieu de la plaine, sur laquelle se trouvait le petit château de Montgisard. Là, le vendredi 18 novembre 1177, à l’abri de ses murailles, ils se rassemblèrent et se préparèrent au combat.
« Saladin se trouvait légèrement plus au sud. Il se croyait en sûreté, pensant avoir laissé les chrétiens derrière lui à Ascalon. En apprenant leur présence devant lui, sa surprise fut totale. Il n’eut que le temps de rassembler ses troupes égaillées dans la campagne à grand renfort de trompettes et tambours. Ses préparatifs n’étaient pas encore achevés lorsque Baudouin et sa troupe apparurent devant le tertre de Montgisard. Leur petit nombre paraissait dérisoire et, dans ces lieux bibliques, on pouvait justement évoquer le souvenir de David et Goliath…
« Au milieu de cette première bataille, l’évêque de Bethléem, Albert, vint se placer en portant la Vraie Croix pour inviter chacun à se surpasser. Quant à Baudouin il avait, selon les règles, prit le commandement de la troisième bataille aidé par Robert de Boves. Serrant les rangs ils marchaient en avant comme un seul homme. Sous un ciel tourmenté de novembre, dans la plaine rase d’où s’élevaient seules les fumées des ruines et des camps, ils avançaient résolus, prêts à mourir.
« Michel le Syrien, qui connut bien Baudouin, nous a raconté le geste émouvant du roi lépreux à cet ultime moment. “Il descendit de sa monture, se prosterna la face contre la terre devant la Croix et pria avec des larmes. À cette vue le cœur de tous les soldats fut ému. Ils étendirent tous la main sur la Croix et jurèrent de ne jamais fuir et, en cas de défaite, de regarder comme traître et apostat quiconque fuirait au lieu de mourir. Ils remontèrent à cheval et s’avancèrent contre les Turcs qui se réjouissaient pensant avoir raison d’eux. En voyant les Turcs qui étaient comme la mer, les Francs se donnèrent mutuellement la paix et se demandèrent les uns aux autres un mutuel pardon. Ensuite, ils engagèrent la bataille”. Il était environ deux heures. Baudouin d’Ibelin, épaulé par son frère Balian de Naplouse déchaîna à grands cris la première charge. Ils déferlèrent comme un torrent furieux prêt à tout engloutir, mais la violence de leur assaut fut bientôt anéantie par la véritable mer humaine dans laquelle ils s’étaient jetés. Il en alla de même pour les deux autres batailles qui s’élancèrent ensuite. Un moment on ne vit plus qu’une énorme houle, hurlante et ferraillante, d’où émergeait seul le bois de la Croix que brandissait l’évêque de Bethléem. Peu à peu, dans cette presse infernale, se firent quelques percées. Renaud de Châtillon, qui donnait libre cours à sa violence et à son désir de vengeance accumulé pendant seize ans de captivité, travaillait comme un bûcheron abattant des chênes, faisant de larges éclaircies autour de lui. Les beaux-fils de Raymond de Tripoli, Hugues et Guillaume de Tibériade, l’imitaient avec autant de succès ainsi que Robert de Boves qui, près de Baudouin sauvait le renom des gens de France. Loin de diminuer, le courage des Francs ne faisait que grandir à mesure que durait le combat. Bientôt un flottement, un léger remous se fit sentir dans les rangs adverses, puis soudain devant les trouées de plus en plus grandes qu’ouvrait la petite armée chrétienne, animée d’une ardeur surnaturelle, l’on vit les musulmans plier, céder. Enfin ce fut comme un vent de déroute qui disloqua leurs rangs, les emportant dans une fuite éperdue.
« Alors, l’on vit cet extraordinaire spectacle, trois cents chevaliers pourchassant des milliers de guerriers aguerris. A un moment donné, Saladin, reconnaissable à sa robe jaune rutilante, fut sur le point d’être pris et ne dut son salut qu’à la vitesse de son cheval et au sacrifice de quelques mameluks. Le sort de tout l’Orient chrétien s’est sans doute joué à cet instant. Si ces mameluks ne s’étaient fait tuer pour lui, Saladin eût été pris ou même tué et alors… Ce jour-là les mameluks non seulement sauvèrent leur maître, mais l’honneur du combat. Ils formaient la garde personnelle du sultan. Ils étaient mille, ressemblant à des archanges d’un monde infernal, étincelant dans leurs tuniques couleur safran. Avec tout leur courage et leur légendaire vertu guerrière, ils ne purent rien contre la débandade générale, rien que se faire massacrer.
« Un secours inattendu vint encore compléter la victoire des Francs. Tous les prisonniers que les musulmans traînaient attachés à des chameaux, profitant de la confusion générale, brisèrent leurs liens et ramassant des armes s’attaquèrent à ceux qui gardaient les bagages. La défaite fut alors totale. De la grande armée d’invasion il ne restait plus rien. Sur plus de vingt kilomètres ce fut une fantastique course poursuite jusqu’à des marais, sortes de trous d’eau le long des oueds, appelés la “Canée des Étourneaux”. Tous les infidèles qui portaient encore des armes s’empressaient de les y jeter, qui un casque, qui un brassard ou une bottine de fer, qui une cotte. Ils y déversèrent aussi les quelques bagages qu’ils avaient encore, car il s’agissait non seulement de fuir plus vite et profiter de la nuit qui tombait, mais tenter de masquer l’ampleur de leur défaite en essayant d’empêcher les chrétiens de les exhiber comme trophées.
« Seule comptait la vitesse dans leur course éperdue, celui qui n’avait plus de cheval était un homme mort. Le temps lui-même se ligua contre les vaincus.
« Les gros nuages noirs si menaçants au début du combat crevèrent déversant une pluie glacée. La poursuite dura trois jours, pendant trois jours on ramassa des prisonniers grelottant de froid et de faim, pendant trois jours, on entassa le butin, repêchant tout ce qui avait été jeté à l’eau. Leurs chevaux qui n’avaient eu aucun moment de repos, car ils ne les avaient fait ni manger ni boire pendant les trois jours qu’ils séjournèrent sur notre territoire, furent tous perdus. Pour comble de misère, ils n’avaient absolument rien à manger pour eux-mêmes, en sorte que le froid et la faim, la longueur des routes et toutes ces fatigues extraordinaires les épuisaient entièrement…. Pendant plusieurs jours on amena des prisonniers du milieu des forêts, des montagnes et même du désert ; quelques fois même il en venait qui se livraient de plein gré aimant mieux être jetés en prison et chargés de fers que de languir tourmentés par le froid et la faim…
« Dans tout l’Islam la nouvelle se répandit semant la consternation. Malgré le prestige de Saladin ce fut un jour de deuil et de honte. “Cette défaite fut un événement funeste, un événement terrible”, écrivit un de leurs chroniqueurs. Pas un des apologistes de Saladin ne réussit à masquer ce moment néfaste qui leur avait fait souvenir que les chrétiens pouvaient être encore de redoutables adversaires.
« Le soir de la bataille, Baudouin vint se reposer à Ascalon. Son visage meurtri par la lèpre était transfiguré par la joie. Joie intense d’avoir sauvé son pays d’une catastrophe irrémédiable, joie d’avoir vu le sultan le plus puissant, l’armée la plus aguerrie s’enfuir devant ses dix-sept ans et son infime cohorte. Joie de n’avoir perdu, fait étonnant, que cinq chevaliers ! Cette victoire était d’ailleurs si prodigieuse, si surprenante, si complète que tout le monde, et Baudouin le premier, voulut y voir la main de Dieu. Il se trouva des témoins pour avoir remarqué pendant le combat que la Vraie Croix brandie par l’évoque de Bethléem était devenue si haute que les combattants semblaient sous la protection de son ombre. D’autres avaient aperçu un mystérieux chevalier aux blanches armes dont les actions avaient été si éclatantes qu’il ne pouvait s’agir que de saint Georges dont on vénérait la sépulture dans la ville toute proche de Lydda.
« L’aspect surnaturel ne diminua en rien le retentissement de ce triomphe ni le mérite de Baudouin. Par tout le royaume ce fut un immense soulagement et une indicible allégresse. Le fabuleux butin récupéré sur les musulmans permit de panser une partie des blessures et des ravages qu’ils avaient causés.
« Sitôt les partages effectués Baudouin se rendit à Jérusalem afin d’y faire célébrer avec le plus de solennité possible des messes d’action de grâces et d’y jouir d’un repos dont il avait grand besoin ». (1)
Beaudoin avait 17 ans,
il était lépreux, il était Franc, il était catholique.
« En nom Dieu, les hommes d’armes ont bataillé et Dieu leur a donné la victoire. »
Le 16 mars 1185, Baudouin IV de Jérusalem, Roi de Jérusalem, s’éteint à l’âge de 24 ans de la lèpre.
[1] Dominique Paladilhe, Le roi lépreux, Perrin, 1984.