« Ab Maria » toujours !…
Interventions victorieuses de Marie dans la vie de l’Église
par le Cardinal Alfredo Ottaviani
Au Congrès Marial qui s’est tenu à Lourdes du 11 au 17 septembre 1958, l’intervention du cardinal Alfredo Ottaviani fut particulièrement remarquable. Sa péroraison a pris la mesure de la gravité de l’heure, à la veille de la mort de Pie XII, à la veille du référendum de France qui appelait tous les électeurs à ratifier l’apostasie nationale par le vote d’une constitution qui renie Jésus-Christ, à la veille de l’insolent triomphe du modernisme résurgent. Nous ne pouvons que faire nôtre ce filial appel à la Très Sainte Vierge Marie, et l’invincible espérance qu’il renferme.
Saint Jean l’Évangéliste conclut son récit du miracle de Cana par cette puissante expression : « Et crediderunt in eum discipuli eius : ses disciples crurent en lui » (Jo. II, 11). Ce ne fut donc pas au moment de leur vocation, mais c’est à cet instant qu’ils commencèrent à croire : leur foi naquit à Cana.
Permettez-moi de mettre en lumière un point particulier. À la Vierge qui insistait et ne se lassait pas d’insister, Notre-Seigneur justifie son refus par un décret divin, une disposition de la divine providence : « Mon heure n’est pas encore venue : Nondum venit hora mea » (Jo. II, 4). Elle n’est pas encore venue, l’heure fixée par le Père pour le premier prodige de son fils, pour allumer la foi au cœur des disciples, pour inaugurer au grand jour l’ère nouvelle du nouveau royaume et de la nouvelle époque, l’âge, si l’on peut dire, de l’éternel dans le temps, du divin dans l’humain. Jusqu’ici ce n’est que dans le secret et l’intimité que s’était ouverte cette nouvelle période de l’histoire, quand « le Verbe s’était fait chair ». C’est donc par Marie que furent obtenus les premiers triomphes de la foi, cette foi grâce à laquelle l’homme devient fils de Dieu.
Il existait donc une heure fixée par l’éternel conseil. Mais cette heure, Dieu avait voulu qu’elle fût anticipée par l’intervention de Marie.
Cette influence de la prière de Marie sur la Toute-Puissance divine ne nous surprend pas, mes Frères. Son Jésus n’a-t-il pas placé dans les profondeurs de l’humilité le sommet de toute grandeur possible pour la créature humaine ?
Ces considérations le prouvent : ce n’est pas par hasard que fut présente à Cana – et de quelle présence – Marie, qui a donné Jésus aux hommes. Ce ne fut pas par hasard non plus qu’elle fut présente au jour de la Pentecôte. Cette humble femme, la plus humble de toutes les femmes, nous a donné Jésus et elle continue de nous le donner au cours de l’histoire. Car elle est, en quelque façon, l’image, le type, le symbole et le modèle de l’Église, vierge et mère elle aussi, qui engendre Jésus dans les cœurs des hommes. Dans l’histoire de l’Église, on peut retrouver ce qui s’est passé dans la vie terrestre de Jésus. Marie a été sensiblement, visiblement présente aux heures les plus angoissées et les plus sombres de la foi, comme elle a été toujours l’aube lumineuse des jours de grands triomphes.
Marie ne cesse pas d’être présente et agissante dans cette Pentecôte continuée qu’est le gouvernement spirituel des âmes et l’œuvre du Magistère. Je puis vous le garantir, mes chers Frères, nulle part ailleurs Marie n’est présente comme à Rome, dans cette Rome auguste, qui met sa gloire dans l’humble service de tout l’univers, dans cette Rome qui vit pour tous ses frères les hommes, et ne connaît pas d’autre mission, d’autre salut, que d’être établie pour les autres : « Pro hominibus constituitur » (Heb. V, 1).
Ma vie tout entière, depuis les premières heures de mon sacerdoce, s’est passée dans l’humble service de ce gouvernement central et universel de l’Église. J’ose donc témoigner ici que la présence de la Vierge nous donne l’assurance de travailler dans l’Église et pour l’Église avec le Christ Jésus.
À cause de cette présence de Marie, au cours des siècles, les victoires, les lauriers, la gloire des triomphes obtenus par l’Église, souvent Rome les a attribués à Marie, à son intercession toute-puissante : « Terribilis ut castrorum acies ordinata : Terrible comme une armée rangée en bataille ». Avec Rome, l’Église tout entière s’est complue à orner de pierres précieuses la couronne contemplée par saint Jean sur son front : « In capite eius corona stellarum : Sur sa tête, une couronne d’étoiles » (Ap. XII, 1).
Permettez-moi d’évoquer, comme à vol d’oiseau, sans insister plus du nécessaire, quelques-unes de ces victorieuses interventions de Marie dans la vie de l’Église. Je parle à des âmes chrétiennes qui n’ignorent pas les étapes parcourues par la vérité dans sa marche à travers le monde, étapes qui furent autant de stations d’un douloureux chemin-de-croix. Elles savent comment Jésus a passé sa vie terrestre ; elles ont conscience de sa vie dans le secret de leur cœur : elles ont appris comment il a vécu au cours des siècles dans son Église.
I. — Le monde païen
Comment le monde païen, corrompu par l’idolâtrie et la cruauté, aurait-il pu jamais admettre la chasteté, la pureté, la virginité ? Pensez, mes amis, de quel poids fut la maternité virginale de Marie dans une question de telle importance.
De la part du paganisme, pour lequel la Croix du Christ était sottise, « gentibus autem stultitia » (I Cor. I, 23), cette maternité virginale était l’objet de moqueries méprisantes. Dans la lutte contre le christianisme, la haine des païens associait dans ses attaques Marie à Jésus. Par contre, les premiers apologètes, aux splendeurs de la divinité de Jésus associaient les splendeurs de la grâce de Marie. Les premières conquêtes de la vérité chrétienne ont été obtenues par le rayonnement de ces deux noms lumineux. Ainsi Jésus manifestait Marie et Marie manifestait Jésus.
Vint se mêler, à cette bataille, la littérature judaïque des premiers temps du christianisme. Marie est de sa part l’objet d’odieuses calomnies : on frappe la Mère, pour atteindre le Fils.
D’autre part, certains gnostiques, tout en conservant à Jésus le titre de « fils de Marie », enlèvent toute importance à la Rédemption, en réduisant l’Incarnation à rien, ou presque rien. Il ne reste plus de la Maternité divine qu’un vain simulacre. Sur ce point, Marcion aura un successeur en Nestorius, qui tirera de ses principes toutes leurs conséquences.
Au milieu de tant de luttes, l’intervention de Marie pour la défense de l’Église trouve son premier témoin et son premier chantre dans le disciple de l’amour, en celui qui écrivit dans son Évangile : « Le disciple la prit chez lui » (Jo. XIX, 27). Cet apôtre qui plane dans les hauteurs divines comme un aigle puissant, consigna dans ses livres les dernières paroles de la révélation écrite. C’est lui aussi qui nous raconte la première apparition de Marie, après son assomption et son couronnement au ciel.
Oui, la première apparition de Notre-Dame fut attestée et décrite par cet apôtre qui, le premier, put appeler Marie sa mère, en raison d’une gracieuse investiture de Jésus, adressée à nous tous dans sa personne.
Dans cette vision, comment l’apôtre bien-aimé de Jésus, et donc aussi de Marie, vit-il la Sainte Vierge ? Il avait vécu près d’elle des jours et des jours, des heures et des heures jusqu’à son dernier moment. Il connaissait son visage comme l’on connaît le visage de sa propre mère.
Écoutons ses paroles inspirées : « Un grand prodige parut dans le ciel : une dame vêtue de soleil, la lune sous ses pieds, la tête couronnée de douze étoiles » (Ap. XII, 1).
Cette vision s’achève par la description symbolique de la merveilleuse victoire sur le dragon infernal remportée par l’Église, figurée par Marie. Certainement, Jean expliqua cette vision à son disciple Polycarpe, évêque de Smyrne. Irénée, originaire de Smyrne, reçut, on peut le croire, cet enseignement de Polycarpe lui-même. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait été, avec Justin, son contemporain, le premier docteur à enseigner la mission victorieuse de la nouvelle Ève dans l’Église du Christ.
Car, à l’Ève antique, trompée par l’ange prévaricateur, on oppose déjà la nouvelle Ève, saluée par l’Ange de l’Annonciation, victorieuse de l’enfer et pourvoyeuse du salut par le don de son divin Fils.
Cet enseignement consolant fut donc transmis par Polycarpe à Irénée, qui, après sa visite aux disciples des Apôtres en Asie, porta ce message marial, inspirateur de confiance, gage de salut, et promesse de victoire, à Lyon pour toute la France et ensuite pour le monde entier.
« Ève – écrit Irénée – séduite par la parole de l’ange, abandonna Dieu et fut infidèle à son commandement. Marie accueille la parole de l’ange et reçoit Dieu en elle-même. La première désobéit à Dieu ; la seconde obéit. Le genre humain, perdu par une vierge, fut sauvé par une Vierge. »
Ce message faisait écho à celui que Justin avait proclamé à Rome. Les fidèles de Dieu le recueillirent dans le secret des catacombes. C’est là que, pour la première fois, est proposée au culte des chrétiens une image de Marie associée à son divin Fils.
Combien de martyrs durent jeter sur cette image un regard plein de confiance avant d’aller au Colisée, conquérir leur glorieuse couronne ! Cette fresque subsiste encore de nos jours pour attester à notre temps et aux siècles futurs la foi et la confiance en Marie de ces héros des premières générations chrétiennes. Leur sang fut le germe de la victoire des chrétiens des temps à venir qui devaient l’emporter sur les persécuteurs et les hérétiques.
C’est dans cet esprit que se prépare le Concile d’Éphèse, cette solennelle réjouissance populaire qui, dans une mer de flambeaux lumineux, célèbre le triomphe de la vérité dans le nom de Marie, Mère de Dieu.
À Éphèse, dans le nom de Marie et de sa divine Maternité, fut terrassée une hérésie des plus pernicieuses.
II. — Au temps des Barbares
Peu après, la violence, qui s’est comme incarnée dans les Barbares, fait traverser à l’Église de longs siècles de tristesse douloureuse. C’est la dure suite des siècles de fer : tout est abattu, tout est renversé à terre, tout est obscur et sombre ; et pourtant, la Rome chrétienne conquit ses conquérants païens.
On a célébré la victoire d’Athènes sur son conquérant romain : « Græcia capta ferum victorem cepit et artes intulit agresti Latio » : combien plus belle et profitable pour l’univers fut la victoire de la Rome chrétienne sur les Barbares, ses vainqueurs !
Quel fut donc le rôle de Marie dans ces événements ? Interrogez l’art, la poésie, la théologie et la liturgie. Ils témoignent tous de l’influence de Marie sur cette glorieuse victoire de la lumière chrétienne sur les ténèbres de ces temps. En effet, un des facteurs les plus puissants de ce triomphe de l’esprit sur la force brutale, c’est, à coup sûr, le doux attrait qu’exerçait sur ces rustres la Vierge très sainte par l’éclat de sa grâce et de ses vertus, par sa tendresse maternelle et sa ravissante beauté surhumaine.
À ces peuples barbares qui ravalaient la femme au-dessous de l’humain, la grandeur spirituelle et surnaturelle de Marie fit l’effet d’une lumière radieuse assez forte pour éclairer des ténèbres si profondes.
La vertu puissante de la grâce du Christ, obtenue par l’intercession de Marie et répandue par sa douce attirance, doit s’être déversée abondamment sur les sillons tracés par les invasions barbares ; et grande a dû être la reconnaissance des peuples.
En effet, à peine l’Europe avait-elle commencé de jeter les fondements de l’ordre chrétien, qu’on voit surgir partout ces magnifiques temples destinés à chanter, pendant des siècles et des siècles, les gloires de Marie.
Ces peuples, qui, à Rome, détruisirent le temple païen de Minerve, le reconstruisirent de leurs propres mains, pour le consacrer à Marie, Reine des Martyrs : « Sancta Maria supra Minervam ».
La dévotion à Marie ennoblit ces néophytes et la fureur guerrière de ces peuples rudes et forts se tourne, avec les croisades, vers la poursuite d’une victoire de la chrétienté sur les armées musulmanes. À la vue de Jérusalem, les croisés victorieux entonnent le Salve Regina.
À cette époque même, Marie donne à l’Église une grande victoire par l’action d’un pasteur héroïque, son fidèle serviteur, saint Grégoire VII. À ce grand Pape est destinée la gloire de délivrer l’Église des liens par lesquels, peu à peu, on l’avait rendue captive. Il ne se contente pas de poser sur les fondements divins de l’Église, la puissante architecture du droit ; mais il arrache aussi l’Épouse du Christ à l’étreinte de César ; il rend le clergé à la pureté et à la pauvreté ; il impose aux moines la fidélité à Rome ; il rappelle aux princes que, chrétiens comme les autres hommes, ils doivent l’être plus encore. Il organise le premier réseau des représentants de Rome, pour protéger dans les divers pays l’indépendance religieuse des fidèles, des clercs et de l’Église. Ses lettres le montrent digne à la fois de César et d’Augustin. Mais, par-dessus tout, elles révèlent sa dévotion à Marie. Ses historiens nous le représentent à genoux devant les plus populaires images romaines de la Sainte Vierge, priant comme un humble fidèle. Au nom de Marie et au nom de l’Église romaine, ce génie admirable ouvrit le second millénaire de l’histoire chrétienne.
III. — Le Moyen Âge
Les hérésies des nouveaux temps n’ont plus pour objet le dogme de la Trinité. Ce n’est pas l’époque des grands schismes. Mais les erreurs nouvelles se rapportent à la vie mystique ou à la vie ecclésiastique. Ce sont les hérésies, pleines d’acrimonie, qui préludent au protestantisme et trouvent en lui leur aboutissement.
Contre elles, se font jour les dévotions nouvelles, non dans leur substance, mais dans leur tonalité : tout d’abord, au douzième siècle, la dévotion à l’humanité du Christ, puis, au treizième, la grande dévotion à l’Eucharistie, et, enfin, au quatorzième, à la Passion du Seigneur, dévotions qui, toutes trois, donnent un nouvel éclat à la dévotion mariale. Le Stabat Mater appartient à cette dernière époque.
Au nom de Marie s’élèvent les grandes cathédrales, surgissent les grandes initiatives. Au nom de Marie et sous son patronage naissent plusieurs Ordres religieux qui constituent les nouvelles armées spirituelles de l’Église, contre les hérésies et pour la pacification chrétienne.
Au sommet de la Divine Comédie de Dante et au frontispice des chants de Pétrarque resplendit la gloire de Marie comme sur les cathédrales d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre et d’Allemagne.
En France aussi commence la période des grandes cathédrales mariales : Notre-Dame de Paris et Notre-Dame de Chartres et tant d’autres ; sanctuaires qui subsistent à travers les siècles comme des symboles de paix intérieure et des foyers de repos spirituel, au milieu des luttes et des troubles de la vie. De nos jours encore, qui cherche à connaître la plus belle jeunesse de France, la rencontre en pèlerinage sur la route qui conduit de Paris à Chartres.
Par l’action de Marie, les mouvements anarchiques prônant la pauvreté et excitant à la révolte n’ébranlèrent pas la discipline de l’Église. Les nouveaux nationalismes purent bien dominer une grande partie du clergé et provoquer le grand schisme d’Occident : ils n’eurent pas raison de Rome. Ils purent bien diviser les chrétiens ; arracher à l’Église une grande partie de l’Allemagne et de l’Angleterre : mais ils furent impuissants à lui ravir la vigueur et l’honneur de l’unité. Les catholiques restèrent fidèles à l’Église en restant fidèles à Marie, leur mère. Car c’est elle qui garda ses enfants dévoués au sein de leur mère l’Église.
IV. — Au XVIe siècle
C’est une loi constante : là où s’est conservée la dévotion à la Mère, le Fils est resté présent avec elle et son Vicaire a continué à être le garant de l’unité du Corps mystique.
Le protestantisme ne fait plus aucune place à Marie. Mais, du même coup, en supprimant l’autel de la Mère, il supprime l’autel de son divin Fils. En refusant l’obéissance au Vicaire du Christ, les protestants se sont dispersés, comme les brebis qui n’entendent plus la voix du pasteur. En vain s’efforcent-ils de retrouver l’unité en dehors de Marie, de Jésus présent dans l’Eucharistie et du Pape.
Le protestantisme après avoir renié l’Église et Marie, fut condamné par les décrets du Concile de Trente. L’Immaculée ne fut pas étrangère au succès de ce grand Concile, auquel elle doit le premier témoignage authentique rendu par l’Église à son exemption du péché d’Adam, transmis par la génération à ses descendants.
En note : « Declarat tamen hæc ipsa sancta Synodus, non esse suæ intentionis comprehendere in hoc decreto, ubi de peccato originali agitur, beatam et immaculatam Virginem Dei Genitricem » (Sessio V, 17 juin 1546, Decretum super peccatum originale, Denz. 792).
Les Turcs renouvelaient sans cesse les tentatives d’invasion de l’Europe. Contre eux se livra la bataille de Lépante, apothéose et victoire du Rosaire. Ce fut un succès du premier Congrès Marial : on a donné ce nom à ces masses de combattants qui, groupés sur leurs navires, louaient ensemble Marie et l’invoquaient au moyen du Rosaire avant la suprême épreuve. Ces triomphes de Marie devaient se renouveler à Budapest et à Vienne au cours du XVIIe siècle.
V. — Aux XVIIIe et XIXe siècles
Plus récemment, nous avons vécu des époques non plus de schisme comme du Ve siècle à l’an mille, ni d’hérésies comme de l’an mille au XVIe siècle, mais des temps d’incrédulité publique que le monde n’avait pas connus depuis la venue du Christ Jésus. Cette incroyance a ramené dans nos pays un néo-paganisme, d’autant plus grave, que c’est un refus de la foi de la part d’apostats et de renégats. Hélas, à l’ennemi qui à Budapest tentait son effort suprême et fut terrassé grâce à Marie, a succédé un tout autre ennemi. Son empire surpasse tous les empires ayant jamais existés. Sa force égale sa férocité ; sa puissance de nuire égale sa capacité de résistance.
Faudra-t-il donc désespérer de celle que nous invoquons sous le vocable de « Secours des chrétiens » ?
L’Église désespéra-t-elle lorsque, sur l’autel de Notre-Dame, à la place consacrée à l’invincible Reine du Ciel et de la terre, fut élevée la ridicule « déesse raison » ? Non ! Les chrétiens se confièrent à la Vierge du perpétuel secours et l’invoquèrent. En elle, Pie VII mit sa confiance et il scella cette confiance par un vœu solennel à Savone. Tout entière, l’Église l’invoqua et la voix de l’Épouse du Christ monta jusqu’à ses oreilles. Marie descendit du Ciel pour la secourir. À Paris, Catherine Labouré reçoit des mains de la Vierge le gage des grâces abondantes, prêtes à descendre sur la terre. À Lourdes, Bernadette Soubirous contemple l’Immaculée. Sur son ordre, elle découvre la source, symbole des grâces et des miracles qui sont autant de manifestations triomphales de sa puissance, non seulement sur le mal physique, mais plus encore sur l’incrédulité, le scepticisme et l’orgueil des sages de la terre, qui sont infatués de leur vaine science.
VI. — La présence de Marie à notre temps
Aujourd’hui aussi, Marie est présente dans l’Église. Elle y est présente, comme elle était présente aux noces de Cana. À grands cris le Pontife l’a appelée par la proclamation du dogme de l’Assomption. À grands cris les fidèles l’appellent par leurs innombrables dévotions. À grands cris, enfin, l’appellent les théologiens par ce renouveau de la théologie mariale qui n’a jamais été égalé, pas même au XVIIe siècle. Au cours du second millénaire chrétien les apparitions de la Sainte Vierge ont peuplé les terres catholiques d’une foule de sanctuaires mariaux, aussi miraculeux et aussi fréquentés les uns que les autres. Mais, en aucune époque, ces apparitions ont été aussi splendides que de nos jours. Cette Lourdes est une capitale de la prière et de la grâce.
Sans aucun doute, la Sainte Vierge est présente parmi nous. Nous l’avons invitée à prendre sa place parmi nous, pour nous défendre des ennemis de la civilisation chrétienne. La société moderne est travaillée par une fièvre de renouvellement à faire peur. Elle est aussi infestée d’hommes qui veulent se prévaloir de nos souffrances pour nous imposer leurs caprices, faire peser sur nous la tyrannie de leurs vices, construire parmi nous le repaire de leur débauche et de leurs rapines. Le mal assume des proportions immenses et il prend un caractère apocalyptique. Jamais l’humanité n’avait connu un tel péril. D’une heure à l’autre, nous pouvons perdre non seulement la vie, mais aussi la civilisation et toute espérance. Le présent peut nous échapper avec le futur. Nous ne risquons pas seulement la perte de nos richesses, mais la ruine des bases mêmes de la vie en société. La bombe atomique est capable de créer un désert moins atroce que celui qu’a produit la doctrine régnante dans une société sans Dieu : il existe un Sahara spirituel bien pire que le Sahara de l’Afrique. Les nouvelles armes peuvent écraser notre corps ; mais les nouvelles doctrines cherchent à écraser notre esprit, d’autant plus qu’aux aberrations de la science profane, négatrice de Dieu, s’ajoutent de notre côté d’étranges et dangereux errements.
Aujourd’hui comme au temps des grandes hérésies, sévit une science de demi-savants qui se servent de la doctrine pour flatter leur vanité, sans éprouver à l’égard de la Sagesse des choses sacrées la crainte révérencielle nécessaire. Je parle de la prétendue science des demi-savants : car rarement les vrais savants, les grands savants se sont opposés au Magistère suprême de l’Église. Cette science facile des demi-savants s’est efforcée de réduire l’éternité au temps, le surnaturel à la nature, la grâce à l’effort humain et Dieu à l’homme.
Si Marie ne revient pas parmi nous, comment ne pas craindre les conséquences de tant d’erreurs et de tant d’horreurs ?
Que deviendrons-nous ? De qui espérerons-nous le salut ? Certainement pas des puissances humaines. L’expérience de chaque jour montre trop clairement la vérité de l’avertissement divin : « Ne mettez pas votre espérance dans vos chefs incapables de vous procurer le salut : Nolite sperare in principibus, in filiis hominum, in quibus non est salus » (Ps. CXLV, 2). Leur incapacité se manifeste clairement : il y a quarante ans, une tache rouge de sang versé par la tyrannie a commencé de faire peser le poids de la plus insupportable oppression sur les hommes et sur leurs intelligences, sur les individus et sur les nations. Or, malgré les efforts des hommes d’État pour la contenir, elle n’a jamais cessé de s’élargir et menace de nos jours tout ce qui reste de liberté et de dignité humaine dans le monde entier. Le Seigneur lui-même semble vouloir demeurer sourd à notre voix. On dirait qu’il affecte de se livrer au sommeil qui provoquait la prière du Prophète : « Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormez-vous ? » et qui arrachait aux disciples un cri désolé dans la barque secouée par la tempête.
Le Seigneur semble nous dire, à nous aussi : « Nondum venit hora mea : Mon heure n’est pas encore venue » (Jo. II, 4). Mais l’Immaculée, la Mère de Dieu, image et protectrice de l’Église, nous a prouvé à Cana qu’elle savait et pouvait obtenir, en quelque façon, l’anticipation de l’heure divine.
Nous, nous avons vraiment besoin que cette heure vienne vite. Il nous faut qu’elle soit anticipée. Elle doit arriver tout de suite, car nous osons dire : « Ô Mère, nous, vos enfants, nous n’en pouvons plus. »
Nous avons confiance : Lourdes nous donne l’assurance de la présence victorieuse de Marie. Sa présence ici n’est pas seulement celle d’une apparition de l’autre monde comme dans l’Apocalypse : la femme vêtue de soleil et couronnée d’étoiles. Mais ici, l’humble Marie est présente comme elle l’était dans l’humble maison de Cana, lorsqu’elle obtint l’anticipation de l’heure de Dieu. À cause de nos péchés, nous méritons les massacres les plus cruels, les exécutions les plus dépourvues de pitié. Nous avons chassé son Fils de nos écoles, de nos places et de nos maisons. Nous l’avons chassé du cœur de tant d’hommes : nos générations ont renouvelé le cri d’autrefois : « Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous : Nolumus hunc regnare super nos » (Luc. XIX, 14). Entre Barabbas et Jésus (Math. XVII, 17), nous avons choisi Barabbas (Jo. XVIII, 40). Entre le Maître de l’univers et le malfaiteur, nous avons préféré Barabbas. Mais aucune heure n’est plus proche de l’heure de la résurrection que l’heure de la crucifixion. Barabbas triomphe, il est vrai, assis sur son trône. Jésus, lui, est fixé à la croix dans la chair de tant de martyrs, de tant de torturés, de tant de déportés et dans l’esprit de tant d’âmes oppressées et tourmentées. On n’a jamais élevé autant de croix de chrétiens dans cet immense et atroce jardin de Néron que devient le monde tout entier.
Marie, mère d’amour et de douleur, mère de Bethléem et du Calvaire, mère de Nazareth et de Cana, intervenez pour nous, hâtez l’heure divine !
Le monde a besoin de ce vin jailli de cette vigne qu’est Jésus lui-même, né de la Vierge : « Ego sum vitis : Moi je suis la vigne » (Jo. XV, 5), dit-il. « Moi je suis la vraie vigne » (Jo. XV, 1). C’est le vin de cette vigne que nous voulons.
Que Marie dise comme à Cana : « Ils n’ont plus de vin : Vinum non habent » (Jo. II, 3). Qu’elle le dise avec la même puissance d’intercession. Si Jésus hésite, s’Il refuse, qu’Elle triomphe de ses hésitations, comme, par pitié maternelle, Elle triomphe de notre indignité.
Qu’Elle soit pour nous une mère, pleine de pitié ; pour Lui une mère pleine d’autorité. Qu’elle daigne accélérer son heure, qui est notre heure.
Nous n’en pouvons plus, ô Marie ; la génération humaine va périr, si vous n’intervenez pas.
Parlez pour nous, ô Silencieuse ; parlez pour nous, ô Marie !
In Maria et Ecclesia, Acta congressus mariologici-mariani in civitate Lourdes anno 1958 celebrati, vol. XVI, Academia Mariana Internationalis, Romæ (pp. 83-94)