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R.P. Roger-Thomas Calmel : BRUMES DU « RÉVÉLATIONISME » ET LUMIÈRE DE LA FOI

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Le R.P. Roger-Thomas Calmel, O. P.

 

Brumes du « Révélationisme »

Et Lumière de la Foi

Par le Père Roger-Thomas Calmel, O. P.

Itinéraires
Itineraires N° 181 (mars 1974)
N° 181 (mars 1974)

 

J’appelle « révélationisme » une confiance désordonnée dans les révélations privées ; confiance qui n’est pas assez éclairée et rectifiée par la raison et par la foi.

L’expérience montre que les chrétiens atteints soit d’« apparitionisme » soit de « révélationisme » sont gens difficiles à guérir.

Je voudrais au moins que leur maladie ne soit pas trop contagieuse, et c’est pourquoi je rédige cette note.

Pour sûr je ne reproche pas à ces frères dans la foi de croire au merveilleux d’ordre privé, ni à son rôle indispensable dans l’Église, mais bien de le situer pratiquement au-dessus de l’Écriture et de la Tradition ; ensuite d’équiparer les faits merveilleux les plus différents ; enfin de laisser désorbiter leur vie intérieure par le merveilleux, au lieu de la mettre sous l’empire des vertus théologales qui sont le centre véritable de toute vie dans le Christ.

***

On trouve donc certains chrétiens qui accordent à des révélations puériles et bizarres, reçues soi-disant par des âmes privilégiées, exactement le même crédit qu’aux messages de Lourdes si limpides, si sobres, si consonants avec le dogme catholique.

Et que dire de ces chrétiens qui, se prévalant des visions de ces fameuses âmes privilégiées, en savent beaucoup plus long sur la Passion du Seigneur que les évangélistes eux-mêmes. Un auteur nous accablait naguère de tracts de dévotion sur les douleurs secrètes de Notre Seigneur.

Ces tracts dénotent chez la visionnaire, qu’il est du reste impossible d’identifier, une imagination trouble, malsaine, et pour tout dire détraquée. Or le même auteur se met à diffuser maintenant une compilation copieuse qui nous est présentée tour à tour comme une « encyclopédie de prophétisme chrétien » et comme « le livre du siècle ».

« Hâtez-vous, dit le dépliant-réclame de six pages, hâtez-vous de le commander à Saint-Germain-en-Laye, France. »

Hâtez-vous d’autant plus qu’il est midi moins cinq. Il est midi moins cinq, tel est le titre de l’ouvrage prophétique et encyclopédique qui nous annonce que « Paris va bientôt brûler comme Sodome et Gomorrhe, que trois jours de ténèbres vont terminer les calamités annoncées et que, après des catastrophes de toutes sortes, il ne restera qu’un quart de l’humanité et même moins peut-être ».

Ces châtiments n’ont rien d’impossible, mais on voudrait que prophètes ou prophétesses produisent des titres suffisants pour leur donner créance. Pour accréditer leur propre message, des saintes aussi éminentes que Jeanne ou Bernadette, ne s’en étaient pas dispensées.

Et puis est-il bien convenable de mélanger dans un prospectus les intérêts commerciaux et le sens religieux ; de faire appel à la crainte de Dieu et en même temps de mettre en œuvre les astuces de la publicité, car on vous dit tout à trac que ce livre est « le livre du siècle… on a besoin de l’avoir sous la main à tout moment… il exerce sur le lecteur une influence calmante ». Tout cela ne paraît pas fort sérieux.

***

Mais combattre les marchands de révélations ne me passionne guère. Écarter les nourritures avariées ne suffit pas à nourrir les âmes. Cherchons plutôt la nourriture vivifiante des divines Écritures.

Et puisque les révélationistes nous parlent tellement des jugements du Seigneur sur l’histoire des hommes, rappelons-nous les enseignements de la Révélation tels que nous les rapportent les textes inspirés.

Rappelons-nous aussi, sur le même sujet, la doctrine solide des Pères et des docteurs.

Nous croyons au retour du Seigneur : « Credo… in unun Dominum Jesum Christum… et iterum venturus est cum gloria judicare vivos et mortuos, cujus regni non erit finis. »

Cependant nous ne sommes pas figés sur le jour et l’heure, car il n’est pas dans la mission du Seigneur de nous les faire connaître (Matth. XXIV, 36).

Nous savons que non seulement il viendra, à la fin, un suprême antéchrist mais aussi que, dans le cours de l’histoire, il y aura des préfigurations de l’antéchrist.

Non seulement il y aura la dernière apostasie générale prédite dans la seconde épître aux Thessaloniciens (II Thess. II, 3-12), mais, auparavant, on connaîtra des préfigurations de l’apostasie.

Non seulement à la fin des fins la foi sera presque éteinte et la charité ne sera vivante que chez un petit nombre, tellement la froideur et l’égoïsme auront répandu la mort dans l’âme des hommes, non seulement donc à la fin de l’histoire, l’humanité sera presque tout entière sans foi et sans amour, mais encore il y aura au cours de l’histoire des préfigurations de cet enténébrement et de cette sorte d’extinction de la vie spirituelle.

Nous savons, les chrétiens ont toujours su, en particulier l’apôtre saint Jean et depuis saint Augustin, qu’il viendrait un dernier antéchrist mais qu’il avait des précurseurs depuis les temps apostoliques (I Jo.II, 18).

Nous savons que l’Apocalypse n’est pas une chronologie anticipée mais une théologie de l’histoire sous forme de symboles qui se répètent, se récapitulent, se précisent mutuellement.

Nous savons que le chapitre XXIV de saint Matthieu, les chapitres XVII (dernière partie) et XXI de saint Luc ne concernent pas seulement et de façon exclusive deux générations : la génération contemporaine de la première venue du Seigneur, celle qui vit la ruine du temple et la dernière génération, celle qui verra le retour glorieux de Jésus-Christ ; mais ces chapitres s’adressent aussi, sous bien des rapports, aux générations qui se situent entre les deux.

Le Seigneur a jugé dignes de son enseignement infaillible, au sujet des jugements qu’il porte sur le déroulement de l’histoire, les nombreuses générations intermédiaires qui devaient être, de loin, celles qui compteraient le plus de fidèles, celles qui formeraient la part la plus importante de son Église.

Il est un signe de la fin qui n’aura pas de répétition antérieure : c’est la conversion du peuple juif au titre de peuple. Mais ce signe même, nul n’est en mesure de dire à quelle place exactement il faut le situer avant la fin du monde.

Pour les autres signes : apostasie, antéchrist, expansion de l’Évangile, mort spirituelle, guerres et cataclysmes, nous savons que même s’ils vont se développant selon une sorte de progrès linéaire, ils procèdent aussi par des répétitions comme cycliques. Vers laquelle des répétitions sommes-nous en marche : Dieu le sait.

***

Donc, aux générations intermédiaires entre celle qui connut la ruine de Jérusalem et celle qui verra la fin du monde, le Seigneur a donné une révélation double : en même temps qu’il annonçait les débordements de l’iniquité et les châtiments prodigieux, il nous garantissait la permanence des sources du courage et de la consolation.

Quels que soient en effet les perfectionnements historiques de l’iniquité, cependant ces jours d’épreuve, aussi dangereux soient-ils, seront abrégés à cause des élus (Matth. XXIV, 22) ; d’autre part nul ne pourra ravir les brebis de la main du Bon Pasteur (Jo. X, 28-29) ; troisièmement la Rédemption ne cessera pas d’être proche et il faudra lever la tête, levate capita vestra (Luc. xxi, 34) vers Celui dont le Cœur est ouvert pour nous (Jo. XIX, 37) ; quatrièmement le Saint-Esprit ne cessera de rendre témoignage du Christ (Jo. XVI, 1-15), même lorsque l’apostasie semblera tout submerger.

Pour tout résumer les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Église (Matth. XVI, 18), contre Pierre et contre la foi ; contre la Messe (1) et contre les sacrements, alors même que l’homme d’iniquité siégera dans le lieu saint (II Thess. II, 4 et Matth. XXIV, 15).

Il est donc une double révélation au sujet des jugements et des châtiments divins. Les aspects contrastants ne doivent pas être isolés et séparés.

Lorsque des révélations privées portent sur les interventions de la justice divine, elles doivent s’inscrire fidèlement dans cette perspective de la révélation canonique.

Or ce n’est pas ce que l’on trouve dans les publications diverses des révélationistes.

Ces écrits ont tout juste ce qu’il faut pour affoler les âmes et les terroriser. Non seulement ils prétendent repérer le jour et l’heure où nous en sommes des préparations et des préfigurations de la fin, ce qui déjà ne manque pas d’audace ; mais dans leur rétention simpliste à pronostiquer le jour et l’heure ils habituent ceux qui les écoutent à vivre dans l’irrationnel, à préférer aux lumières du bon sens et de la réflexion sagement conduite des racontars sans garantie.

Ils n’ont pas le souci véritable et réaliste de préciser les remèdes qu’il est toujours en notre pouvoir d’apporter, quel que soit l’état où nous sommes de la répétition de la fin.

Par ailleurs ils sont beaucoup plus préoccupés de chercher curieusement quel laps de temps nous sépare de la fin que de s’affermir dans la foi, la foi dans la grâce de la rédemption, qui est toujours suffisante quels que soient l’éloignement ou la proximité de la Parousie.

Il est midi moins cinq nous racontaient les fabricants d’encyclopédie prophétique ; mais ils ne sauront pas nous dire ceci : midi moins cinq ou dix heures et demie, de toute façon il est l’heure de faire ce qui est en nous pour assister à la bonne Messe dans de bonnes dispositions ; il est l’heure de méditer et de réciter le chapelet ; il est l’heure de servir notre prochain sans complicité pour ses faiblesses, comme sans énervement pour ses misères ; il est l’heure de faire des sacrifices exceptionnels, pour préserver les enfants de la corruption et pour assurer l’existence de vraies écoles chrétiennes ; il est l’heure enfin, pour les clercs, de vivre encore plus selon la dignité de leur état et d’approfondir les sciences ecclésiastiques, au lieu de perdre leur temps à décrypter les coquecigrues dont nous submerge la publicité indiscrète des apparitionistes de tout acabit.

***

Nous ne repoussons évidemment pas les prophéties privées sous le prétexte qu’elles annoncent les châtiments divins : la peste et le feu, la guerre et la famine et des catastrophes de toutes sortes. Nous les repoussons d’autant moins sous un tel prétexte que les prédictions redoutables font partie intégrante de l’Évangile de Jésus-Christ.

Notre miséricordieux Sauveur s’est donné comme roi et comme juge ; juge non seulement à la fin du monde, mais encore juge sur le cours de l’histoire. Ipsius sunt tempora et sæcula.

Les prédictions sur la ruine de Jérusalem, sur la terrible fin du monde, sur les persécutions des chrétiens ne peuvent pas être enlevées des Évangiles et des Épîtres. C’est à plusieurs reprises que Jésus a parlé en prophète de malheur. Mais il est prophète de malheur dans un climat d’Évangile et c’est cela qui change tout, qui fait de sa prophétie une nourriture pour vivre de la grâce divine, une source de paix intérieure et de béatitude. Beati qui lugent quoniam ipsi consolabuntur.

Noter cet ad 2m dans IIa-IIæ, quest. 174, art. 6 : « Dieu est plus porté à écarter les fléaux dont il nous menace qu’à retirer les bienfaits qu’il nous promet. »

Ainsi, nous aurons garde de mépriser les prophéties privées quand elles sont prophéties de malheur et précisément pour cette raison ; mais nous demandons deux choses : d’abord des titres suffisants pour admettre que le messager ou la visionnaire nous parle de par Dieu, en nom Dieu, et non pas de son propre cru ; ce qui suppose cette deuxième condition que sa prophétie se situe dans cette ligne de paix, de conversion, d’équilibre surnaturel qui est la ligne de l’Évangile.

En un mot que les prophéties privées, même comminatoires, se tiennent à ce niveau d’élévation, de sobriété, de pureté qui est celui de l’Évangile.

***

Le Grand Monarque et le grand Pape : c’est l’un des chapitres de la fameuse encyclopédie. C’est bien beau, mais de toute façon si le Seigneur, dans sa miséricorde, veut une fois encore donner à la France un chef qui soit sage et saint, docile au siège de Pierre mais exempt de papisme, si le Seigneur daigne accorder à notre patrie cette miséricorde tout à fait extraordinaire, eh ! bien, une préparation est indispensable. Or cette préparation ne se fera pas si trop de chrétiens se laissent emporter par l’épidémie du révélationisme.

Il peut être bon de rappeler quelquefois « la prophétie de saint Pie X » :

« Que dirai-je, maintenant, à vous fils de France, qui gémissez sous le poids de la persécution ? Le peuple qui a fait alliance avec Dieu aux fonts baptismaux de Reims se repentira et retournera à sa première vocation… Les fautes ne resteront pas impunies mais elle ne périra jamais la fille de tant de mérites, de tant de soupirs et de tant de larmes. Un jour viendra, et nous espérons qu’il n’est pas éloigné, où la France, comme Saül sur le chemin de Damas, sera enveloppée d’une lumière céleste et entendra une Voix qui lui répétera : “Ma fille, pourquoi me persécutes-tu ?” Et sur sa réponse : “Qui êtes-vous Seigneur ?” la Voix répliquera : “Je suis Jésus que tu persécutes. Il est dur de regimber contre l’aiguillon, parce que, dans ton obstination, tu te ruines toi-même.” Et elle, frémissante et étonnée, dira : “Seigneur que voulez-vous que je fasse ?” Et lui : “Lève-toi, lave-toi des souillures qui t’ont défigurée, réveille dans ton sein les sentiments assoupis et le pacte de notre alliance, et va, Fille aînée de l’Église, nation prédestinée, vase d’élection, va porter comme par le passé mon nom devant tous les peuples et tous les rois de la terre.” » (*)

Le rappel d’une telle prophétie peut être utile. Encore faudrait-il le faire avec logique et honnêteté, car il est malhonnête autant qu’illogique de laisser espérer la miséricorde de Dieu pour l’avenir de la patrie et de ne pas faire le peu qui est en nous dans l’heure présente.

L’heure présente c’est celle où la célébration de la Messe étant terriblement menacée, il faut d’autant plus la maintenir, donc la dire et y assister dans les dispositions requises.

C’est l’heure où le vrai catéchisme étant difficile à assurer, c’est une raison de plus de s’y mettre.

C’est l’heure où la législation familiale (si on peut dire) devient criminelle et monstrueuse, il faut donc la combattre de toutes nos forces.

C’est l’heure où les innovations de Paul VI sont frappées de la suspicion la plus légitime comme le prouve la liste accablante établie par le Libellus de l’abbé de Nantes ; ayons donc le courage de voir que, par les nouveautés de ce pontife-là, nous ne sommes pas liés.

C’est l’heure où les évêques malaxés et manœuvrés par la collégialité tentent de faire prévaloir un syncrétisme religieux simultanément maçonnique, communiste et chrétien ; nous n’avons pas à suivre de pareils évêques.

C’est l’heure, enfin, où nous devons témoigner de la foi de toujours avec des dispositions de force et d’humilité qui sont à renouveler sans cesse, car notre témoignage n’est point en face d’une persécution violente, ce qui précipiterait et simplifierait bien des choses, mais en face d’une révolution moderniste qui est inspirée par les démons des pires embrouillaminis.

Telle est l’heure présente. Or ce diagnostic, même incomplet, n’est pas celui que nous trouvons dans les bavardages confus et irrationnels des révélationistes ; c’est le diagnostic que nous faisons en nous servant de la raison que Dieu nous a donnée, éclairée par les lumières de la foi et de la réflexion théologique.

C’est donc dans l’heure présente, qui est telle, que nous avons à nous sanctifier et à rendre témoignage ; et cela d’autant plus que nous demandons à Dieu que, pour les années à venir, se réalise, de quelque façon, la prophétie de saint Pie X.

La période présente, autant et plus que les périodes antérieures, requiert du chrétien une attitude spirituelle de lucidité, de réalisme, de foi, de charité, d’espérance.

Or ce ne sont pas ces attitudes raisonnables et théologales que favorisent dans les âmes de bonne volonté les producteurs et les détaillants de papiers révélationistes.

***

Les révélationistes nous tympanisent les oreilles de messages nébuleux, enfiévrés, sentimentaux, mais ils ne s’attachent vraiment pas aux messages de sainteté des mystiques les plus autorisés : l’auteur de l’Imitation, saint Jean de la Croix, la petite Thérèse…

De la prophétie privée au sein de l’Église ils ne semblent connaître qu’un seul aspect : l’annonce des châtiments divins.

Or il est d’autres aspects : non opposés au premier sans doute, mais bien supérieurs : ce sont les charismes d’ordre doctrinal, comme l’enseignement de sagesse, le sermo scientiæ qui est accordé à quelques grands saints pour l’édification des âmes.

Ce sermo sapientiæ n’est pas à proprement parler un charisme accordé aux femmes. [Voir sur ce sujet la IIa IIæ, au traité des états (comme on l’appelle) la question 177. La fin de la IIa IIæ contient en réalité trois traités majeurs : celui des états de perfection, qui termine tout, vient après le traité des charismes (grâces gratis datæ) et des formes de vie (active ou contemplative).]

On doit dire cependant qu’un message comme celui de la voie d’enfance de la petite Thérèse relève d’un véritable charisme.

C’est trop restreindre les faveurs que l’Esprit du Christ accorde à l’Église de ne voir les charismes que dans les messages comminatoires donnés en des apparitions, même si le message est orthodoxe et le voyant digne de créance.

***

L’une des failles les plus graves des révélationistes est celle-ci : ils n’ont point médité sérieusement sur la vie et la mort des saints et des saintes qui furent engagés le plus avant dans la prophétie privée, dans les apparitions, dans le merveilleux et le miracle : une Jeanne d’Arc, une Marguerite-Marie, une Catherine Labouré, une Bernadette, les enfants de Fatima.

Dans la vie et la mort de ces privilégiés authentiques rien que de simple, de calme, de limpide ; ni affolement, ni exaltation. Leur message fut le moins entortillé qui soit, le moins compliqué. Pour ce message ils étaient prêts à donner leur vie et, de fait, sainte Jeanne d’Arc fut martyre.

Cependant ce n’est pas dans un merveilleux séparé et comme exorbité que Jeanne et les autres avaient situé et fixé leur âme ; c’est comme tous les chrétiens, comme tous les saints, dans la foi, l’espérance, la charité. Ils ne tenaient à leur message que parce que celui-ci faisait partie du devoir exceptionnel que Dieu leur commandait à eux de remplir – comme il commande à la plupart un devoir ordinaire ; devoir ordinaire qu’il faut remplir avec un amour parfait.

Ces messagers tenaient à leur message uniquement parce que cette fidélité première était pour eux la condition pour vivre des vertus théologales et des dons du Saint-Esprit ; là se situait l’âme de leur vie spirituelle. Leur vie ne se conçoit pas plus sans l’intervention du merveilleux que sans la fidélité à rendre témoignage de ce merveilleux, mais l’âme de leur vie c’est la charité, non le merveilleux.

Le merveilleux, révélations et prophéties, dont ils étaient les messagers fidèles, est indispensable à l’existence et à la sainteté de l’Église, à la conversion et à la survie de la France. Le corps mystique ne se passe point ici-bas des grâces gratis datæ. Mais c’est la grâce gratum faciens, la grâce des vertus et des dons, qui est son âme vivante.

Jeanne, Marguerite-Marie, Catherine Labouré, Bernadette, les enfants de Fatima, ces messagers du merveilleux le plus exceptionnel, ne cessèrent pas, en communiquant et défendant leur message, de s’affermir dans la grâce sanctifiante, dans l’amour le plus humble et le plus réaliste.

On comprend alors que leur message, non seulement par l’équilibre de son contenu mais par la manière de le transmettre, ne fut pas affolant mais pacifiant, aussi bien pour leur prochain que pour eux-mêmes.

L’Église ne rejette pas, ne peut pas rejeter le merveilleux, les révélations et les miracles ; mais l’Église place au-dessus, et sans comparaison, la vie théologale et la sainteté.

Fidèles à cette doctrine, nous gardant bien de faire fi par principe des manifestations du merveilleux, mais sans être sottement crédules ou vainement affolés, ayant mis à leur place les révélations privées qui méritent confiance (notamment les révélations privées de portée universelle), nous les utiliserons au mieux dans la lumière de la foi, – la foi qui est agissante par la charité (Gal. V, 6).

***

Pour vivre droitement dans l’Église il ne suffit pas au chrétien de se dire : l’enseignement du magistère hiérarchique suffit ; s’il y a autre chose je ne veux pas le savoir. Car le magistère lui-même est obligé de savoir qu’il y a autre chose ; non certes un autre enseignement que celui dont la hiérarchie a le dépôt et la garde vigilante mais d’autres voix miraculeuses de messagers fidèles, qui ont mission de parler pour attirer l’attention sur ce même enseignement que dispense le magistère.

Il n’y a pas un autre magistère que celui de la hiérarchie, un magistère inspiré qui lui serait supérieur et devant lequel le sien se devrait de baisser pavillon ; mais il y a d’autres messagers que ceux de la hiérarchie, des messagers inspirés, miraculeux, que les dignitaires hiérarchiques doivent accepter d’entendre, encore que ce soit à la hiérarchie de conclure et de trancher.

La notion catholique de l’Église n’exclut certes par les charismes (Relire Rom. XII, I Cor. XII, Eph.IV, I Thess. V, 16-22) mais elle les subordonne à la hiérarchie. Elle n’exclut pas les révélations privées, elle demande seulement que ce ne soit pas des illusions privées, ensuite que ces révélations soient en accord avec la Révélation.

En aucun temps de l’histoire de l’Église la voix de la hiérarchie véritable, non pas les insinuations de la hiérarchie moderniste, – donc en aucun temps la vraie hiérarchie que garantit à titre ordinaire et officiel le charisme de vérité (saint Irénée), n’a prétendu étouffer les voix inspirées et miraculeuses car ces voix, si elles viennent de Dieu, loin de contredire la Révélation, la redisent, la font comprendre, en persuadant les cœurs avec un accent plus pénétrant et comme sur un ton plus approprié aux situations nouvelles.

C’est ainsi que les paroles du magistère hiérarchique sur le Sacré-Cœur de Jésus n’ont pas été changées par les révélations privées de sainte Marguerite-Marie mais, après ces révélations, les mêmes paroles ont été dites avec plus de véhémence et répercutées avec plus d’enthousiasme.

En 1854 avait retenti la grande voix du Pontife romain dans la définition infaillible de l’Immaculée Conception, mais cette voix n’a mis en marche les foules et mobilisé les nations pour la prière et la pénitence qu’à la suite des apparitions de l’Immaculée à sainte Bernadette.

On ferait des remarques semblables pour la dévotion au Rosaire et pour la consécration au Cœur Immaculé de Marie : sans la voix inspirée des voyants de Fatima, la voix du magistère ordinaire ne se serait pas imposée aussi profondément aux âmes chrétiennes.

Et que dire des révélations privées comminatoires ?

Les avertissements du XXIV chapitre de saint Matthieu sont toujours là et l’Église les fait toujours entendre pour le dernier dimanche après la Pentecôte ; seule une liturgie d’inspiration et de fabrication modernistes tente de les faire oublier.

Donc, l’Église fait toujours retentir aux oreilles des fidèles les oracles du XXIV chapitre de saint Matthieu ; mais pour que ces avertissements soient pris au sérieux par tant de chrétiens modernes qui tournent en rond dans leurs péchés, avec une hébétude aussi épaisse que les contemporains de Noé à la veille même du déluge, pour réveiller les dormants, il est nécessaire que, selon les circonstances historiques, l’enseignement du magistère hiérarchique sur les jugements divins soit, non pas modifié, non pas infléchi dans un sens millénariste, mais répercuté fidèlement par des messagers ayant la charge de transmettre des révélations comminatoires.

On demande seulement à ces messagers de se présenter avec des garanties suffisantes, de même que l’on attend du message qu’il soit consonant à l’Évangile.

Tout ceci pour dire que les révélations privées et, d’une façon générale, tous les charismes ont une place dans la vie de l’Église, un rôle non négligeable, non surérogatoire mais nécessaire ; il faut donc les mettre à leur place : les subordonnant à l’autorité du magistère véritable (tout autre que le faux magistère moderniste), les situant dans la ligne de la Révélation divine, nous laissant réveiller, toucher, convertir, édifier par l’accent miraculeux avec lequel ils nous redisent les paroles de la vie éternelle.

 


* Note : Consistoire du 29 novembre 1911. [Note des dsb : le Père Calmel écrit « la prophétie de saint Pie X » entre guillemets, et il fait bien car il y aurait quelque abus d’affirmer que saint Pie X a prophétisé. Saint Pie X exprime là un vœu, un désir de son cœur paternel, et pour cela il emprunte ce texte à l’un de ses maîtres : le Cardinal Pie. Car ce texte « prophétique » est en réalité une citation de l’Oraison funèbre du général de Lamoricière prononcée par le Mgr Pie le 5 décembre 1865 (Œuvres, V, 506-507). Simple prêtre encore, en 1846, il avait déjà manifesté cet espoir de conversion (Œuvres sacerdotales II, 332-333). Le 28 septembre 1879, dans son Discours de prise de possession du titre presbytéral de N.-D. de la Victoire, le Cardinal Pie s’exprimera dans les mêmes termes (Œuvres X, 63-64)].